Aujourd'hui, aucune voix appelant à un changement radical n'est inutile ou de trop, tant la crise affectant le pays est d'une gravité extrême : Ali-Yahia Abdennour, Ahmed Taleb-Ibrahimi et Rachid Benyelles viennent d'ajouter la leur, chacun apportant le poids de son itinéraire, soit politique, soit militaire ou militant des droits de l'homme. Leur déclaration conforte les prises de position qui, au cours de ces dernières années, ont cerné le mal algérien absolu : «La confiscation du destin» du pays depuis près de vingt ans par un homme, Abdelaziz Bouteflika, son entourage familial, ses prolongements claniques ainsi que ses soutiens dans le mond des affaires (ceux appelés les oligarques). Une confiscation, le mot n'est pas trop fort, qui a débuté dès l'élection présidentielle de 1999, lorsque la puissance militaire dirigeante de l'époque, appuyée par des appareils administratifs et partisans, avait favorisé le «candidat» Bouteflika, contraignant les autres candidats à se retirer de la compétition, plombée et déloyale. Une fois la crise de la Kabylie «réglée» dans le sang et la nuisance terroriste «atténuée» sans l'exigence de la vérité et de la justice, le régime puisa sans compter dans l'argent du pétrole afin d'asseoir une légitimité que les urnes ne lui ont pas donné(e) et ensuite de contrôler le front social. Huit cent milliards de dollars ont été dépensés dans la mise en place d'une économie de rente basée sur l'importation et la consommation tous azimuts et qui a crée artificiellement une classe de nouveaux riches, tout en généralisant l'informel et la corruption. L'Algérie a été privée de la seule chose dont elle avait réellement besoin : une économie productive qui aurait permis à ses enfants de s'inscrire dans l'avenir par le travail et la modernité. Aujourd'hui, c'est trop tard, 17 années ont été perdues. Et le pouvoir, en plein désarroi, invente des artifices pour tenter de gérer un quotidien qui lui échappe de jour en jour : une planche à billets, un «ciblage» des subventions, endettement extérieur… Maître d'œuvre de cette entourloupe nationale, Ahmed Ouyahia a pour seul souci de sauver le système, du moins sa façade la plus caricaturale, réduite à un président de la République contraint de faire semblant de gouverner, alors même qu'il est terrassé par une maladie invalidante. Ne reformant rien, jouant sur tous les registres, celui de la peur particulièrement, le Premier ministre s'attelle à gagner du temps jusqu'à avril 2019 pour… éventuellement un cinquième mandat. Face à ce forcing démentiel, il n'y a qu'une seule riposte : un «front commun» de toutes les forces vives du pays. Ahmed Taleb-Ibrahimi, Ali-Yahia Abdennour et de Rachid Benyelles l'appellent dans leur déclaration, tout comme le fait régulièrement l'opposition politique, dont la voix est devenue forte mais toujours sans écho auprès des dirigeants. Sur la revendication d'un changement radical de système, force est de constater que le consensus s'élargit de plus en plus à toutes les couches de la société. La population a donné le feu vert en boycottant largement les élections législatives d'avril 2016. De ce consensus ressort une idée forte ou une exigence : l'armée doit être républicaine, c'est-à-dire défendre uniquement la Constitution et le territoire national. Le pouvoir en place, elle doit s'y(en) démarquer, comme elle doit refuser de s'impliquer dans le jeu politique actuel et dans tout jeu politique à venir. Il est temps pour l'armée de rompre avec ses pratiques antérieures, dont beaucoup ont ruiné ou miné l'Algérie .