Dix responsables politiques s'attellent, depuis quelques jours, à trouver la méthode et les moyens afin d'empêcher que Bouteflika exerce son diktat. Retour sur une série de contacts secrets qui risquent fort de déboucher sur une initiative unitaire. Le front des candidats opposés à la mainmise du Président sur le scrutin prochain s'élargit progressivement. Vendredi, ils étaient dix à se concerter pendant plus de deux heures chez le général à la retraite Rachid Benyellès, une villa sur les hauteurs d'Alger, récemment aménagée en quartier général de campagne. Dix hommes que beaucoup de choses séparent, mais tous réunis pour plancher sur un document commun, une sorte de charte pour la bonne conduite de l'élection présidentielle. Autour de la table, quatre anciens Premiers ministres, successivement Mouloud Hamrouche, Mokdad Sifi, Ahmed Benbitour et Ali Benflis, le président du RCD, Saïd Sadi, Ahmed Taleb Ibrahimi, deux représentants du parti islamiste MSP dont Ahmed Dane ainsi que l'avocat connu Ali Yahia Abdenour. Deux ou trois idées majeures focalisent les discussions. Comment empêcher Abdelaziz Bouteflika d'abuser de ses prérogatives et de contourner la Constitution pour s'adjuger un second mandat alors que le bilan du premier est déjà jugé catastrophique ? Comment déloger le gouvernement actuel, transformé en staff électoral par le Président en exercice pour mettre en place un exécutif de transition chargé d'organiser des élections régulières ? Quel rôle aura à jouer l'armée dont la neutralité déclarée rompt avec le parti pris flagrant de l'administration et de l'institution judiciaire ? Mais avant d'arriver au conclave de vendredi, il aura fallu des rencontres en tête à tête et des réunions restreintes. Contacts informels Décembre est le mois des préliminaires. Au fur et à mesure des contacts informels, les avis convergent sur la nécessité de rechercher des dénominateurs communs entre les futurs candidats. L'idée d'un front contre “la dictature” de Bouteflika se précise alors. Reste à réunir les principaux concernés. Une première rencontre élargie se déroule au domicile du général Benyellès début janvier. Sont présents, ce dernier, Sadi, Taleb, Benflis et Ali Yahia Abdenour. Réunir un personnel aussi hétéroclite et aux parcours politiques aussi divergents était déjà une gageure. Mais un large consensus est vite trouvé : constituer une opposition frontale et radicale au président Bouteflika. Pendant deux heures, tout le monde s'accorde à souligner la gravité de la situation : le pays traverse une grave crise qui n'est pas sans rappeler celle de janvier 1992 qui avait débouché sur le départ de Chadli Bendjedid. Le constat est forcé ? Non ! “Cette élection, si elle est gérée par le gouvernement actuel va mener à l'effondrement de l'Etat”, affirme un participant. Avec Yazid Zerhouni et Ahmed Ouyahia, comme chefs d'orchestre des bureaux de vote, c'est une victoire assurée pour Bouteflika. “Il faut disqualifier Bouteflika”, renchérit un autre. Démettre le Président mais pour quel objectif ? demande un membre de l'assistance. La démarche risquerait d'être discréditée si elle ne reposait que sur la simple confrontation avec l'actuel chef de l'Etat. Il faut sortir avec un modus operandi pour mener la bataille électorale. L'objectif n'est pas tant de barrer la route à Bouteflika mais d'imposer des mécanismes qui garantissent une élection transparente. Voilà le principe cardinal sur lequel tous tombent d'accord. Pour ce faire, il faut élargir le front à d'autres personnalités. Se pose alors un problème parmi les participants : faut-il associer Djaballah à l'initiative ? Sur ce point également le consensus est vite trouvé : il faut que le président d'El-Islah cesse ses attaques contre la mouvance démocratique. Les critiques se focalisent alors autour du premier magistrat du pays et son mode de gouvernance. Un des participants attaque : “Je connais Bouteflika. Il a mis en péril la cohésion de la nation. Il a déstabilisé les institutions.” Deux heures après, un large consensus se dégage. Il y a nécessité de se revoir pour peaufiner la stratégie et gagner de nouvelles adhésions. Zeroual se met de la partie Rendez-vous est donné pour mercredi 7 janvier au quartier général de Rachid Benyellès. Pris par la préparation du conseil national de son parti prévu pour le lendemain, Sadi n'est pas présent. Ahmed Benbitour et Mouloud Hamrouche rejoignent le groupe, autour de Taleb, Benyellès et Benflis. Entre-temps, l'opposition contre Bouteflika s'exacerbe. Le rassemblement organisé dimanche 4 janvier par les responsables du FLN devant l'Assemblée nationale pour protester contre le gel des activités du parti tourne à la bastonnade. La répression déclenche une avalanche de protestations contre Bouteflika et un élan de sympathie pour Benflis. Un acteur politique, en retrait jusque-là, se fait entendre. Liamine Zeroual exprime son soutien aux responsables du FLN dans un premier temps avant de rendre public un communiqué dans lequel il appelle à “l'alternance”. Pour ceux qui connaissent la discrétion de l'homme, la salve de Zeroual n'a pu être provoquée que par la gravité de la situation. Comme pour ne pas arranger les choses, la revendication du départ du gouvernement est bottée en touche par le ministre de l'Intérieur qui affirme que l'équipe est bien là pour gérer le prochain scrutin. À la clé, il insiste : “Les élections ne seront pas reportées.” Une façon de couper la chique aux animateurs du front contre le staff de Bouteflika. Le décor est planté pour une autre réunion des prétendants à la succession du chef de l'Etat. Celle du vendredi 9 janvier. Projet de déclaration commune Cette fois-ci, il faut aller vite et vers l'essentiel. Et surtout élargir le cercle. Le FFS de Hocine Aït Ahmed, jusque-là absent de toutes les réunions, est prié de donner de la voix. Comment le faire adhérer ? Mouloud Hamrouche et Ahmed Taleb Ibrahimi sont chargés de prendre langue avec les dirigeants de ce parti dans le but de l'associer. On croit savoir que la réponse de ce parti sera connue dans les prochaines heures. Contacté par Liberté, Mokdad Sifi, ancien candidat à l'élection présidentielle d'avril 1999 affirme qu'“il faut associer tout le monde.” Il soutient que Rédha Malek et Abou Djerra Soltani sont aussi intéressés par l'initiative. Commence alors la phase pratique. Chacun est invité préalablement à proposer un projet commun. Ahmed Benbitour se présente avec un texte, Rachid Benyellès possède son document, Ali Benflis a peaufiné sa déclaration tandis que Saïd Sadi arrive avec un canevas de déclarations. Les échanges sont âpres et la méfiance est toujours de mise, selon les propres propos d'un participant. Quels objectifs assigner à cette rencontre ? Dès lors que le consensus se dégage, il est impératif d'aller vers l'essentiel. En d'autres termes, il s'agit d'élaborer une charte consensuelle qui puisse permettre à chaque candidat à l'élection présidentielle de bénéficier de chances équitables. Objectif primordial : faire en sorte que le scrutin d'avril soit l'amorce d'un véritable décollage du pays. Asseoir les règles démocratiques, doter le pays de vraies institutions républicaines. Et éviter avec certitude que le pouvoir soit concentré entre les mains d'un seul homme ou d'un clan asservi. “On ne peut pas se permettre de s'éterniser dans les débats. Le temps presse. Il faut avancer et conclure assez rapidement”, affirme une personnalité. Chose faite hier. Un groupe de travail, composé d'une poignée de personnalités, a planché, dans l'après-midi d'hier, sur une déclaration commune qui sera rendue publique dans les heures à venir. Cherif Belkacem, ancien compagnon de Bouteflika durant l'ère de Boumediene, devenu irréductible opposant au chef de l'Etat depuis son élection, vient de rejoindre le front. En en attendant d'autres. F. A.