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Santé : Le blues des blouses blanches
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Publié dans El Watan le 13 - 10 - 2017

Pointés du doigt quand il s'agit de responsabiliser quelqu'un du marasme que vit la santé en Algérie, les médecins spécialistes déplorent leur situation et dénoncent les conditions de travail auxquelles ils font face dans le secteur public. Certains affirment que l'insulte et l'agression sont devenues les seuls échanges qu'ils tiennent avec les patients.
«La santé ne sera en bonne santé que quand les hauts responsables de l'Etat décideront enfin de se soigner au pays», déclare, sous couverte d'anonymat, un médecin spécialiste de l'hôpital Mustapha Pacha, qui déplore la situation «catastrophique» dans laquelle se trouve, selon lui, le secteur de la santé en Algérie. La condamnation fin septembre dernier du Dr Ouali, gynécologue à l'hôpital de Djelfa, après le décès d'une parturiente de 23 ans et de son bébé, a remis sur la table le débat sur la santé en Algérie.
Alors qu'elle n'était pas de service et qu'elle pouvait être remplacée par un autre spécialiste, selon ses collègues, le Dr Ouali, une jeune maman envoyée pour son service civil dans cette wilaya des Hauts-Plateaux, a écopé d'une peine d'«une année de prison dont deux mois ferme» pour «négligence et établissement de faux documents». Quant à ses collègues dont deux sages-femmes, un directeur de garde et un infirmier, ils ont été condamnés chacun à «6 mois de prison avec sursis».
Dès lors, plusieurs médias ont pointé du doigt les médecins en leur endossant toute la responsabilité du marasme que vit le secteur de la santé dans notre pays. Cette situation a provoqué l'ire de plusieurs praticiens de la santé, notamment les spécialistes qui, lors d'un sit-in organisé à l'intérieur de l'hôpital Mustapha Pacha en septembre dernier, ont «condamné cette compagne médiatique» et se sont demandé «pourquoi ces chaînes ne se sont pas penchées sur la situation des praticiens de la santé, notamment les médecins spécialistes ?» Et pourquoi «n'ont-elles pas cherché à connaître les raisons qui ont poussé le Dr Ouali a demandé un arrêt de travail de trois jours ?»
«Je compatis à la douleur de la famille de la parturiente qui est malheureusement décédée, mais je rappelle quand même que ce sont les praticiens de la santé qui ont été mis derrière les barreaux. Quand une praticienne exténuée — avec 10 gardes consécutives, tout le programme qu'elle a au niveau de l'établissement, le nombre de consultations qu'elle a réalisées et toutes les femmes enceintes qu'elle a en charge — demande à se reposer, il ne faut pas le lui refuser. Elle en a besoin.
Elle ne pouvait plus exercer, car elle était poussée au bout de ses limites. Et c'est la raison pour laquelle, elle a demandé un arrêt de travail sans spéculer autour de ce dernier pour dire s'il était de complaisance ou pas», explique Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP) (voir encadré).
Divorce
En réalité, le cas du Dr Ouali ne fait pas exception. Cette histoire de service civil continu a fait débat au sein des praticiens de la santé. Les médecins, qui ont le plus grand cursus universitaire, se trouvent après 7 ans d'étude de doctorat en médecine à faire 5 autres années pour se spécialiser.
Ce n'est pas tout, car au lieu de commencer enfin leur carrière, ces derniers sont sommés de faire le service civil qui varie entre une à trois années, selon l'endroit où ces derniers sont affectés. Cette durée est de deux ans dans le cas du Dr Ouali, jeune maman d'une fillette de 6 mois, originaire d'Alger, affectée dans la wilaya de Djelfa ; de trois ans dans la région nord et d'une année seulement dans le cas des villes de l'extrême Sud, comme Tamanrasset. C'est comme un travail dont les médecins sont redevables à l'Algérie pour les avoir enseigner gratuitement.
Ce service civil, appliqué exclusivement pour les médecins spécialistes, n'est pas à confondre avec le service militaire, car les garçons devront aussi, au côté du service civil, accomplir leur devoir national, obligatoire pour tous les Algériens. En tout, il faut qu'un médecin spécialiste ait au minimum plus de 32 ans pour pouvoir enfin commencer sa carrière dans la santé. Cette situation est plus que délicate pour les établissements sanitaires qui se vident de plus en plus par opposition à ce «dictat».
Dans la corporation, on parle aujourd'hui de 1800 médecins spécialisés qui ont quitté les établissements publics pour aller soit dans le privé soit à l'étranger. 13 500 médecins algériens font aujourd'hui travailler en France, selon les chiffres du conseil national de l'Ordre des médecins. Une gynécologue d'Alger, furieuse de la situation dans laquelle s'est trouvé son collègue, s'indigne : «Les médecins spécialistes algériens font le bonheur de la France et du Canada. Ces pays n'ont rien déboursé pour leurs études.
En Algérie, les médecins virent soit vers le secteur privé ou partent à l'étranger où ils sont mieux considérés.» Mère de famille, assurant la charge de ses enfants, cette gynécologue dit avoir été affectée, il y a quelques mois, d'Alger vers un hôpital du Sud-Ouest. «J'ai fait un recours et je peux vous assurer que je me suis rendue compte que nous étions des centaines à le faire quand je me suis présentée devant le ministère de la Santé. Je ne travaille plus depuis plus de 4 mois. J'attends la réponse de la tutelle. Je n'accepterai pas d'abandonner mes enfants», dénonce-t-elle.
Sud
La gynécologue évoque, entre autres, l'absence de la spécialité de la médecine dans les universités du Sud, c'est le pourquoi de l'obligation de la tutelle d'envoyer, selon elle, les médecins spécialistes dans cette grande région d'Algérie. «Ce n'est pas parce que cette région représente 25% de la population que l'Etat ne doit pas ouvrir la spécialité dans ses universités. De plus, il n'y a que deux centres hospitaliers universitaires (CHU) dans la région. C'est très peu et c'est désobligeant pour nos concitoyens de cette région», regrette-t-elle.
Cette question de CHU a aussi été évoquée par le Dr Elias Akhamouk, médecin et responsable à l'hôpital de Tamanrasset. Joint par téléphone, le Dr Akhamouk explique qu'il y a probablement une équitabilité en termes de moyens distribués entre le Sud et le Nord, mais il déplore le manque de CHU dans la région sud. «Au Sud, il n'y a que deux CHU à Laghouat et à Ouargla. Il aurait fallu, et c'est devenu une nécessité, en construire aussi un autre à Tamanrasset et à Ilizzi. Un patient doit faire plus de 1000 km pour voir un professeur à Ouargla.
De plus, les spécialistes ne bénéficient d'aucune réduction quand ils voyagent pour exercer dans ces CHU et se voient obligés de débourser toute leur paye dans le transport. Là, je parle même pas des patients qui partent parfois jusqu'au Nord pour se faire soigner», regrette-t-il. Et d'ajouter : «Je pense que le service civil n'est point une solution. A mon avis, il faut essayer d'attirer les médecins dans le Sud. Il faut appliquer un système incitatif et non obligatoire. Nous ne pouvons même pas investir dans les moyens humains quand on les voit partir après l'accomplissement de leur service.»
Anarchie
Dans une vidéo diffusée la semaine dernière sur YouTube, on voit des personnes se battre à l'intérieur de la salle d'attente d'un hôpital de l'Ouest, en l'absence total d'agent de la sécurité. Les praticiens interviewés nous ont appris qu'un médecin a été poignardé la semaine dernier par un individu qui voulait absolument, selon les témoignages, que «son patient passe en premier», au CHU Salim Zemirli à El Harrach.
Cette situation d'insécurité que vivent les médecins dans l'exercice de leur fonction revient en boucle. Celle du manque de moyens et des conditions de travail, de l'état des structures et du manque d'organisation à l'intérieur des établissements est, selon certains, un facteur qui pousse aussi les médecins à fuir le secteur public ou à abandonner carrément le métier.
Les patriciens avouent qu'ils sont, parfois, agressés, insultés ou même maltraités par des patients qui les responsabilisent de tout disfonctionnement intervenant au moment de leur prise en charge. Le service qui pose le plus de problèmes est celui des urgences. Une résidente de l'hôpital de Beni Messous à Alger témoigne de ce qui peut être le cas de tous les hôpitaux algériens. «Hormis la question des moyens, car nous obligeons parfois les patients à faire des scanners coûteux à l'extérieur, c'est nous qui cotisons afin de réparer du matériel cassé. A Beni Messous et ailleurs certainement, les hôpitaux sont dans une situation de précarité et délabrement déplorable.
Aux urgences, nous n'avons ni bandelette ni glycomètre pour l'hyperglycémie. Quand on dit à l'administration que nous risquons de perdre des patients, personne ne nous prête attention. L'eau des toilettes arrive jusqu'à dehors. Elles sont tout le temps bouchées et dans un salle état. Ce sont les médecins qui nettoient ou réparent», confie-t-elle. Et d'ajouter : «Le plus grand problème réside dans le service des urgences. Nous n'avons pas le choix.
J'ai refusé de travailler, à maintes reprises, dans ce service sans la présence d'un agent de sécurité. Des drogués ont couru derrière moi plusieurs fois. La dernière, c'était à 5h. Des SDF me menaçaient d'agression si je ne leur donnais pas du Valium. Je m'arrange toujours avec les infirmiers pour ne pas leur en donner. Ils viennent de la rue et arrivent directement chez nous, sans aucun contrôle. Il y a des bagarres dans les salles d'attente. Il y a des gens qui veulent passer avant les autres. Et se sont nous qui devons gérer tout ça.
C'est l'anarchie totale.» Les médecins, rencontrés disent qu'ils ne peuvent plus travailler sous pression et appellent au changement de toute l'organisation des hôpitaux et à l'amélioration des conditions de travail, à protéger les praticiens de la santé et tiennent responsables les administrations et la tutelle de la situation «chaotique», selon eux, dans laquelle se trouvent les établissements publics de santé en Algérie.


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