La plus prestigieuse salle de cinéma d'Afrique est en train de sombrer irrémédiablement dans l'oubli. Réputée pour avoir le plus grand écran d'Afrique, cette salle de cinéma aura rendu d'immenses services aux artistes d'ici et d'ailleurs. Pendant plusieurs saisons, elle aura également abrité le non moins prestigieux festival du théâtre amateur, lorsque cette manifestation était courtisée de toutes parts. Le monumental Tayeb Seddiki – sans doute le plus accompli des dramaturges marocain, avec son « Masrah Annas » qui rappelle la « Halqa », un genre original que le talentueux Alloula portera au pinacle- y aura fait, avec sa troupe, une prestation très singulière. Son compatriote Abdelhadi Belkhayat ne sera pas en reste. Ses plus belles romances, il les déclamera au cours de soirées mémorables. L'oranaise Sabah Essaghira aura eu le privilège d'entamer sa carrière de chanteuse de charme face à son public insatiable et passionné. Kateb Yacine, l'auteur de Nedjma, à la tête de sa propre troupe du théâtre populaire de Sidi-Bel-Abbès laissera des souvenirs impérissables chez les spectateurs qui eurent l'insigne privilège de voir sur les planches du Cinémonde « La guerre de 2000 ans », une magnifique et inégalable synthèse spatio-temporelle des luttes de peuples aussi différents que peuvent l'être les infatigables Vietnamiens du delta du Mékong et les farouches Chaouias des Aurès. Les nombreux spectateurs n'oublieront pas de sitôt l'interprétation, à la fin de la pièce de l'Internationale, reprise en chœur par toute la salle, pendant qu'un immense drapeau rouge était déployé par un comédien. Durant les années 70, des générations d'étudiants de l'ex ITA se seront succédées sans discontinuer et en nombre pour assouvir leu soif de cinéma. C'était au temps où des tarifs « Etudiants » permettaient au plus grand nombre de voir et souvent de revoir les meilleurs films du moment. Avant la projection et durant les entractes, l'opérateur avait cette douce manie de passer en boucle des cassettes d'El Anka et de Maâzouz Bouadjadj, les deux charnières du chant Chaâbi. Il y a de cela à peine 7 ans, les leaders politiques comme Redha Malek, Mokdad Sifi et Ali Benflis venaient y tenir meeting. Mais voilà, depuis pratiquement trois années, la salle est hermétiquement close. Sous le règne du précédent wali, des travaux de rénovation seront entamés, sans suite. Ce joyau architectural qui servit durant des décennies de réceptacle à toutes les expressions culturelles, est à deux doigts d'une agonie inéluctable. La salle est actuellement fermée sans que personne ne sache ce qui l'attend. Faudra-t-il se résigner et laisser ce patrimoine sombrer dans l'oubli comme sombra jadis le somptueux théâtre dans la Cité de Kaki ?