De toutes les annonces faites par le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane, celle de rompre avec le wahhabisme a eu l'effet d'un véritable séisme dans les pays musulmans. Surtout chez nous, où les effets dévastateurs de ce courant intégriste renvoient à la «décennie noire», celle de la haine de l'autre, du rejet de la différence et des méfaits de l'intégrisme islamique sur les Algériens. Lesquels effets se sont soldés, est-il besoin de le rappeler, par des milliers de victimes et des milliards de dollars de dégâts, dont le pays peine à se remettre. Les conséquences négatives générées par cet avatar saoudien du hanbalisme sur la société algérienne se sont traduites par la pénétration, au cours des dernières décennies, de valeurs rétrogrades, étrangères à nos traditions ancestrales de partage, de tolérance, de vivre-ensemble et d'ouverture sur la modernité que prônait déjà en son temps le mouvement des Oulémas algériens sous l'impulsion de Abdelhamid Ben Badis, y compris dans la pratique religieuse dans un pays à dominance malékite comme le nôtre. Mais bien avant la décennie noire, le wahhabisme à travers ses relais locaux salafistes avait, dès les années 1980, causé des ravages au sein d'une jeunesse algérienne en perte de repères, à travers notamment l'embrigadement de centaines de jeunes, les appelant au djihad en Afghanistan. Et ce, sous la bienveillance du pouvoir autoritaire algérien de l'époque qui, loin de marquer ses distances avec ce courant religieux extrémiste, ouvrait, au contraire, ses chaînes publiques de radio et de télévision à des prédicateurs, comme le porte-parole patenté des Frères musulmans, l'Egypto-Qatari Al Qaradaoui, et offrait les minbars des mosquées à des prêcheurs formatés au wahhabisme saoudien. L'Arabie Saoudite, faut-il le rappeler, dans sa quête de leadership du monde arabo-musulman, n'a jamais lésiné sur les moyens financiers et faire en sorte que ce bras armé religieux parvienne à ses objectifs destructeurs de tout ce qui peut incarner comme valeur de résistance, de nationalisme et de patriotisme face à la domination étrangère, comme on a pu le voir de manière évidente aussi dans des pays économiquement fragiles d'Afrique subsaharienne. Il a fallu que surviennent les attentats du 11 septembre 2001 pour qu'enfin soit dénoncé le financement de la terreur par les pétrodollars saoudiens à travers des fondations privées et des associations religieuses du royaume saoudien. Et qu'avec l'émergence de Daech en Irak et en Syrie, se multiplient les dénonciations, essentiellement dans les médias, de collusion financière entre le wahhabisme saoudien et ses relais locaux salafistes dans les pays occidentaux, même si ces derniers préfèrent encore, officiellement, privilégier le business et les relations d'affaires avec la pétromonarchie la plus puissante du Proche-Orient. Aujourd'hui, l'intention de rompre avec les «idées extrémistes», formulée par le prince héritier saoudien, a besoin, peut-être plus que les autres changements promis, d'actes concrets allant dans le sens d'un assèchement du financement du wahhabisme et de ses relais à l'étranger, notamment à partir de ses sources saoudiennes, que ce soit à travers les fondations religieuses ou caritatives publiques ou privées qui l'alimentent. Sans quoi tout le reste n'est que paroles.