On peut l'affubler de toutes les intentions velléitaires de sortir de l'ombre, mais sûrement pas de celle de mentir aussi effrontément sur un régime qu'il a lui-même de tout le temps appuyé et qu'il continue de soutenir. Ami fidèle et considéré comme faisant partie des cercles rapprochés du Président, l'homme qui vient de soulever une véritable tempête médiatique, et bien sûr politique, n'a pas l'habitude de jouer avec le feu au point de porter un coup fatal à la crédibilité d'une gouvernance déjà fortement décriée, et devenue par ses incarnations et ses excroissances visibles et souterraines de plus en plus insaisissable depuis la maladie de celui qui a la haute charge de l'assumer. Non, Farouk Ksentini n'a pas menti, ni même fabulé, en s'ouvrant à la presse sur la rencontre qu'il a eue avec Bouteflika et surtout sur les ambitions — vraies ou supposées — qui animent ce dernier pour briguer un cinquième mandat. Cette certitude est confirmée par ses propos un peu sibyllins, certes exprimés sous forme de réponse indirecte au démenti de la Présidence, mais qui dans le fond ne le déjugent pas, bien au contraire. Pour rester en phase avec sa déclaration et ne pas céder à la tentation d'entrer dans une polémique stérile qui serait toujours à l'avantage des plus puissants, il affirme avoir été «surpris», comme tous les Algériens, par le communiqué laconique «attribué» à la présidence de la République, qui considère ses propos comme «mensongers» et donc en mesure de tromper l'opinion publique. A l'évidence, on remarquera qu'elle est quand même très suspicieuse cette affaire Ksentini, qui tombe mal pour le régime, à un moment où celui-ci fait des pieds et des mains pour affirmer sa fiabilité dans la foulée des élections locales. Très suspicieuse parce qu'elle remet au goût du jour la lancinante question sur la réalité du pouvoir, dont la sphère décisionnelle ne semble plus détenir un centre névralgique de commande. Lorsque l'homme de droit, en sa qualité d'avocat qui maîtrise bien les artifices juridiques, soutient sciemment que le démenti est «attribué» à la présidence de la République, il veut tout simplement nous suggérer que cette réponse du Palais demeure mystérieuse et truffée de non- dits et de faux-fuyants, car, selon la lecture à laquelle il nous invite, elle pourrait émaner de canaux non identifiés, sauf celui du Président en personne. En refusant d'ajouter de l'huile sur le feu, eu égard au respect qu'il témoigne au Président, Ksentini affirme sous forme de confidence qu'il a été bel et bien reçu par celui-ci en présence de son frère conseiller, et que tout ce qu'il a dit ne revêt aucun caractère spéculatif, ni l'aspect d'une machination qui aurait semé le trouble au niveau des clans. Qui a donc intérêt, dans l'antre de la Présidence, à vouloir étouffer une communication qui porte pour une fois la volonté exprimée du premier magistrat pour un cinquième mandat présidentiel, alors que jusque-là, ce sont les réseaux annexes qui se sont chargés de la tâche, en distillant à petites doses et selon les conjonctures les projections vers cet objectif à la manière d'un ballon-sonde, qui finira par éclater. Dans ce jeu d'instigation, qui va comme un gant à tous les courtisans qui ont intérêt à voir Bouteflika rester dans son trône le plus longtemps possible, la palme revient incontestablement au fantasque patron du vieux parti, qui ne rate pas une occasion pour louer les mérites d'une autre mandature de Bouteflika, alors que celle que nous vivons actuellement, péniblement en raison de son invalidité, est déjà très, très problématique. Y aurait-il des forces obscures parmi le clan dominateur qui seraient incompatibles ou antagoniques avec un énième rempilage de l'actuel locataire d'El Mouradia, et qui verraient par conséquent cette perspective, à l'évidence aventureuse pour tout le pays, comme une barrière à leurs plans ? Ksentini aurait-il, sans le savoir, mis le doigt dans ce qu'il est convenu d'appeler une «intrigue de palais» surprise sûrement en pleine maturation ? Qui serait, dans ce cas, derrière le rejet catégorique de l'information rendue publique par l'avocat et qui parce qu'elle soutient tout haut ce qui se murmure depuis des mois a affolé tout l'establishment, au point de ne plus savoir comment neutraliser et rendre inféconde une «fuite» aussi flagrante, sans donner l'impression de perdre la face ? Ce qui paraît relever de l'imaginable, en tout cas, c'est que l'auteur (ou les auteurs) de la réplique, tapi(s) au sein de la Présidence, a (ont)adressé à l'opinion publique une autre interprétation du message concernant la prochaine élection présidentielle, échéance qui semble être au centre de tous les enjeux politiques et qui, par ses prolongements, a fini par faire de l'ombre aux municipales, malgré tous les efforts des pouvoirs publics à vouloir donner à ces dernières une certaine consistance. Même si on ne le déclare pas clairement, l'option d'une élection sans Bouteflika n'est pas à exclure. Pour une fois, au sommet on ne veut pas en entendre parler, encore moins associer le Président à sa propre détermination. Et ce serait, en pointillé, une sorte de reconnaissance de son incapacité à aller au-delà de ses limites, même si sa volonté exprime le contraire, constat que l'opposition ne cesse d'établir et qui lui a servi d'argument massue pour soulever le problème de la vacance du pouvoir, lequel devient à ses yeux, par cette résolution, à désavouer sans la moindre hésitation Ksentini, de plus en plus flagrante et donc passible d'un règlement constitutionnel. Au demeurant, les tenants du pouvoir, qui multiplient les improvisations, savent que le moment est peut-être venu de ne plus fuir la réalité. Ils savent que le Président n'est plus dans les meilleures conditions physiques et intellectuelles pour assumer des charges de l'Etat qui pèsent de plus en plus lourdement sur ses épaules. Cette démission, forcée par une maladie aggravante, le met en retrait de multiples prérogatives qui relèvent strictement de sa compétence. C'est donc à raison que les Algériens, les partis politiques non assujettis au régime et la société civile se demandent qui à la place (ou au nom) du Président se voit confié le relais de la décision. En termes plus terre à terre, qui s'ingère dans la sphère décisionnelle si le Président ne peut pas tout contrôler, même si le leitmotiv qui nous est servi est que les institutions fonctionnent normalement. Alors vraie vacance du pouvoir ou actes de diversion ? La censure contre Ksentini est peut-être un élément de réponse…