Il est rarissime qu'un premier long métrage, «M», réalisé par la comédienne Sara Forestier, suscite un engouement quasi unanime de la presse et des médias. Sorti en salles le 15 novembre en France, il a subjugué la critique cinématographique. Trentenaire, Sara Forestier portait ce projet depuis ses 16 ans, suite à une rencontre amoureuse au cours de laquelle son prétendant lui avait dissimulé six mois durant son illettrisme… Elle s'en ouvrit à Abdelatif Kechiche, son réalisateur dans L'esquive (2004) qui lui vaudra le César du meilleur espoir féminin. Encouragée par le cinéaste, elle mettra dix ans pour faire aboutir son projet, se faisant la main au préalable dans le court-métrage. C'est l'histoire d'un coup de foudre entre Lila (Sara Forestier) à la fois bègue, timide et complexée, et Mo (Redouane Harjane franco algérien, transfuge du stand-up dont c'est la première expérience devant la caméra). Il est beau, charismatique, «shooté» à l'adrénaline : il se livre à des courses automobiles clandestines et squatte un bus à étage transformé en logement. Mais Lila est loin d'imaginer que Mo porte un lourd secret : il ne sait ni lire ni écrire. Lila, qui prépare son bac, vit avec son père, restaurateur et sa jeune sœur Soraya qu'elle aide pour ses devoirs. En proie aux quolibets et moqueries de ses camarades de classe, Lila se referme sur elle-même au point de ne pas s'exprimer oralement, communiquant par un petit carnet sur lequel elle écrit ses pensées et ses dialogues avec autrui. Au début de la relation entre les deux principaux protagonistes, Lila est donc quasiment silencieuse, tandis que Mo est tout le contraire d'un taiseux, il exerce une forme d'emprise sur la jeune fille plus que jamais sur la réserve même si elle exprime son sentiment amoureux pour cet homme plus âgé qu'elle. Au fur et à mesure, le couple trouve son point d'équilibre, bien que les complexes de l'un et de l'autre perdurent, surtout du côté de Mo qui multiplie les subterfuges pour dissimuler à Lila son illettrisme. Sara Forestier, par l'originalité de sa mise en scène, a su jouer sur les émotions et les sentiments de ses personnages qui s'expriment beaucoup par les regards. Les scènes où la tension est manifeste sont remarquables de justesse et dans le jeu et dans le ton. Dans la direction d'acteurs, on reconnaît ici ou là l'influence d'un Kechiche qui n'a pas son pareil pour amener les comédiens sur le versant du naturel et de la crédibilité. Sur le processus d'écriture et les influences, Sara Forestier nous explique que le scénario lui a pris huit ans et que «la première version était l'histoire (qu'elle) avait vécue». Puis, raconte-t-elle, «peu à peu, je suis allée vers mes désirs de cinéma : l'aspect jouissif et créatif des personnages de menteurs des comédies italiennes, la simplicité binaire que l'on peut retrouver dans les films de Chaplin, comme dans Les lumières de la ville où le personnage du clochard essaie de masquer son handicap social en utilisant le handicap social de la jeune fille aveugle…» On est impatient de voir «Alpha» son second film qu'elle tournera au printemps prochain.