Après Sétif, Alger a abrité ce week-end la projection du film récemment couronné de quatre césars... Dans le cadre de la continuité de ses activités culturelles, l'association Chrysalide a présenté jeudi dernier en partenariat avec l'association Gertrude II de Lyon, à la salle Ibn Zeydoun, l'Esquive d'Abdellatif Kechiche. Un film récemment couronné par quatre césars dans les catégories meilleur film, meilleur scénario, meilleur réalisateur et meilleur espoir féminin (Sara Forestier). Il s'agissait du deuxième film du cinéaste après La Faute à Voltaire. L'Esquive, réalisé quasiment sans aucune aide, dormait depuis 13 ans dans les tiroirs. L'histoire se déroule dans une cité HLM en banlieue parisienne, des jeunes lycéens «jouent» Marivaux, déclamant les vers du «jeu de l'amour et du hasard». Lydia qui prend plaisir à sortir d'elle-même et «entrer» dans la peau de son personnage, répète son spectacle. Krimo, du haut de ses 15 ans, est ébloui par sa copine de cours. il craque. Lui qui «n'a jamais tenu un livre de sa vie», décide soudainement de jouer dans la pièce. Lui qui traîne son ennui dans les dédales de la cité, découvre l'amour, déclare enfin sa flamme, de façon très maladroite, propre aux ados. En attendant, Magali, jalouse, «souffre» de ne pas retrouver son amoureux, Krimo... Du «marivaudage» des temps modernes. Comme quoi les sentiments humains sont toujours les mêmes. A côté du texte de Marivaux, il y a un travail sur le langage des cités qu'on perçoit dans son monde de communication, d'échange à la fois : la fois ordinaire et complexe. A côté du langage châtié de Marivaux, nous sommes surpris par ce décalage flagrant. Les jeunes d'aujourd'hui parlent un langage cassé, fleuri, coriace, un peu le reflet de la rudesse de leurs conditions sociales. Et Marivaux le dit, et c'est la professeur qui l'enseigne dans la classe: «On ne peut échapper à sa condition sociale, les riches et les pauvres se reconnaissent entre eux». Et Lydia de rétorquer: «mais on peut imiter». Très beau à voir, décrivant le vécu d'un microcosme d'humanité, l'Esquive est intéressant dans sa façon de dépeindre une réalité sans fioriture, désarmante de simplicité. Le réalisateur a su paradoxalement «esquiver» avec talent, tout référent socioculturel, celui-ci se décline en filigrane dans notre inconscient. La seule clef référentielle reste justement le langage. «Ils se mettaient à parler d'amour avec leurs propres mots. Comme tous les jeunes de leur âge, c'est le préoccupation première : surmonter sa peur pour aborder une fille, un garçon, le ou la séduire, s'assurer de ses sentiments, ne pas être trahi. Bref, leurs marivaudages, c'était ce qui m'intéressait : leurs mots d'amour à eux», confie Abdellatif Kechiche. Un langage cependant hybride, qui témoigne de la double culture de ces jeunes. Si on regarde de près, le film a le mérite de mettre en avant la notion de «prendre du plaisir à faire du théâtre», à changer de peau. Cela pourrait donner, qui sait, des envies à ces jeunes oisifs de quartiers défavorisés à en faire autant, à démystifier l'art et épouser cette autre forme d'expression... Ainsi, l'originalité de l'Esquive est de filmer sous un angle nouveau la vie de ces jeunes des banlieues loin des clichés destructeurs, de violence et du voile. L'amour exacerbé à cet «âge ingrat» se passe ainsi partout. Voilà tout. Remerciant aussi les principaux organisateurs de cet événement dont l'acte de leurs actions, baptisé «Liens d'amour» remonte à 2003, l'année de la sortie du film où il était par conséquent encore inconnu du public. Suite à une résidence d'écriture à Lyon pour deux auteurs en langue française Younil et Hajar Bali, l'Année de l'Algérie en France était une occasion pour ramener la lumière sur les vies et les oeuvres qui traversent la Méditerranée. Ceci a été l'acte I renforçant les échanges entre ces hommes et des deux rives. L'orientation de l'acte II «Hibroun ala warak» s'est fixé en partenariat avec Sétif et Alger autour des «nouveaux langages», au croisement des disciplines : écriture, théâtre, danse, cinéma, arts plastiques... Se déroulant au mois de juin à Sétif et puis à Alger dans diverses manifestations: ateliers de formation (danse, hip-hop, slaw, théâtre...) lectures publiques (textes contemporains), tables rondes...