D'abord, qui est Karim Bouhassoun ? J'ai 38 ans et suis né en France dans un quartier populaire de la région parisienne de parents originaires de l'Ouest algérien, près de Mostaganem, à Hadjadj Sidi Ali. Des racines familiales dont je suis extrêmement fier. Militant de la lutte contre les inégalités, je me suis engagé tôt dans le combat contre le «décrochage» scolaire, puis auprès de chefs d'entreprise, d'associations et d'élus. Ma passion pour les livres m'a transporté jusqu'à la Sorbonne, où j'ai étudié la philosophie, et à sciences Po, à Paris. J'ai eu la chance d'avoir des fonctions très formatrices par la suite, comme conseiller des grands groupes dans leurs fusions, ou des ministères dans leurs stratégies de communication. Depuis 2014, je suis conseiller politique de la présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté. J'ai eu la chance de redécouvrir l'Algérie avec un regard adulte, après la décennie noire. Nous nous sommes engagés à lancer des passerelles avec quelques amis élus, d'abord en organisant des voyages d'élus français en Algérie, comme en 2012. J'ai eu la chance également de croiser la route de l'ambassadeur Xavier Driencourt, avec qui nous avons co-écrit, avec Rachid Arhab, qu'on ne présente plus, et Nacer Safer, un ancien sans-papiers algérien vivant en France depuis 12 ans, Quatre nuances de France (Salvator, 2016, Paris), préfacé par Jean-Louis Debré et Jean-Pierre Chevènement. Qui est d'ailleurs paru en Algérie chez Frantz Fanon sous le titre Quatre nuances de France, Quatre passions d'Algérie. C'est une thèse sur la banlieue. En quoi pourrait-elle intéresser les lecteurs algériens ? Quand je parle de banlieue, je parle des quartiers prioritaires de la «politique de la ville». Ce sont près de 1300 territoires qui regroupent 5 millions de Français. Ces territoires où un habitant sur deux est fils d'immigré concentrent les inégalités. Ce qui en fait une bombe à retardement sociale. Chômage de masse, oisiveté, pauvreté, exclusion, délabrement urbain, stigmatisation, insécurité. Pour être plus précis, le taux de pauvreté est 3 fois plus élevé que la moyenne nationale. Décrire ces territoires, au-delà des chiffres, est aisé : de grands ensembles construits à la hâte dès les années 60, à la périphérie, délaissés par les investisseurs, les classes moyennes, les services publics… comme une société parallèle pauvre dans un pays riche, et qui incarnent les pires cauchemars de la classe moyenne française. C'est un message aux élites que vous adressez ? La banlieue, c'est la France, alors que tout semble la désigner comme un territoire extérieur. C'est une chance pour la France si on comprend qu'il faut y investir. France Stratégie, un organisme rattaché au Premier ministère, chiffre à 150 milliards d'euros, soit 7% de la richesse nationale, le manque à gagner des discriminations diverses et variées en France. La banlieue en est le cœur. Je dis aussi à nos élites que les banlieues n'ont pas de représentants et qu'elles ne peuvent donc pas monnayer de moyens et politiques dédiés dans les négociations nationales. On n'a pas entendu un seul mot, alors qu'un nouveau quinquennat porteur d'espoirs s'ouvre, dans trois moments fondateurs du mandat présidentiel en 2017 : le discours du président de la République devant le Congrès (l'Assemblée nationale et le Sénat réunis) ; le discours de politique générale du Premier ministre devant l'Assemblée nationale, et enfin lors de la conférence nationale des territoires, qui fixe le cadre partenarial entre l'Etat et les collectivités territoriales, qui ont, et c'est méconnu en Algérie, une grande autonomie. L'Etat a donc une responsabilité «parentale» envers les banlieues, c'est-à-dire qu'il n'a pas d'opposition constituée dans les banlieues et celles-ci n'ont pas d'élus, elles sont donc livrées à elles-mêmes. L'ambassadeur de France en Algérie,Xavier Driencourt, dit de vous que vous incarnez un «modèle de méritocratie républicaine». Qu'est-ce qui vous différencie des autres personnes qui ont la même histoire récente ? C'est heureux d'entendre cela. ça me touche beaucoup. Mais pour un Karim qui réussit sciences Po et qui prend la plume, combien d'anonymes sont restés sur le bord du chemin ? En France, 150 000 jeunes quittent le système scolaire chaque année sans qualification. Je pense que l'échec et la détermination sont la meilleure des écoles, quel que soit le milieu social auquel on appartient. J'ai subi une succession d'échecs qui, finalement, m'ont permis de me raccrocher au train des études. Si on remonte plus haut, sûrement aussi, et en toute sincérité, une éducation parentale équilibrée qui a laissé la part du lion à l'éducation scolaire dans notre éducation tout court. Ma mère et mon père avaient en quelque sorte donné une «délégation de service public» aux instituteurs pour tout ce qui ne concernait pas notre vie privée. Cela est resté. Enfin, j'ai une passion, la chose publique, que j'ai découverte assez tard. Le drame est que beaucoup de nos jeunes que je rencontre dans les collèges aujourd'hui ne croient pas à l'école comme levier de la réussite, ou pire, ils n'extériorisent pas de projets. Alors qu'il faut un cap pour avoir un projet de vie.