Le parcours initiatique a été long, mais le pouvoir a fini par s'inscrire à l'école de la démocratie. Après avoir déclaré que tamazight ne sera jamais officielle, quelques mois après l'entame du premier mandat présidentiel en 1999, il décide de cette officialisation en s'engageant dans la dernière ligne droite du 4e mandat. La plus haute autorité du pays reconnaît qu'elle avait tort et que les militants qui réclamaient depuis des décennies la reconnaissance dans les faits de la dimension amazighe de l'Algérie avaient raison et allaient dans le sens de l'histoire. Les doutes ayant entouré la proclamation, le 27 décembre dernier, de Yennayer comme «journée chômée et payée» sont en passe d'être levés avec l'initiative concrète du gouvernement, prise hier, en endossant un amendement à la loi fixant la liste des fêtes légales qui inclura le Jour de l'An amazigh. Echaudé par la péripétie de l'amendement à la loi de finances 2018 et avec l'enthousiasme qui parcourt l'ensemble des courants politiques à propos de la question amazighe, le Parlement va sans doute réserver un accueil sans bavure à la proposition gouvernementale. Ce volet inattendu de la politique de réconciliation, adoptée avec fracas par le pouvoir en place depuis son avènement, ne manquera pas de susciter l'embarras dans les pays voisins qui se prévalaient d'une plus grande ouverture en matière de droits culturels. Le pouvoir algérien s'offre ainsi un boulevard démocratique en se délestant du déni identitaire à un moment où il prend conscience que toutes les issues pour une survie politique ont été obstruées par la crise économique dont les effets commencent à peine à être ressentis par la population. Il ne s'arrêtera pas sur cette voie et tiendra sans doute son engagement de présenter, à brève échéance, la loi organique prévoyant la création de l'Académie de la langue amazighe. La toute-puissance politique, exclusive et hégémonique, qui s'appuyait sur l'aisance financière étant révolue, il ne reste comme moyen de rester audible auprès de la population que de céder sur certains droits fondamentaux, à commencer par ceux culturels. La démarche d'ouverture par paliers est bien réfléchie en ces temps d'incertitudes économiques et d'instabilité sociale, mais ce que le pouvoir feint d'ignorer, c'est que cette logique aura pour phase ultime la disqualification du système politique en place. Les concessions sur les droits et les libertés longtemps réprimées et combattues peuvent prodiguer quelque sursis et une certaine quiétude durant la fin de règne, sans absorber la quête politique la plus partagée au sein de la société, celle d'une rupture radicale avec les artisans de l'échec. Ce chantier de la reconnaissance institutionnelle de l'amazighité sera, comme beaucoup d'autres, inaccompli. Il échoira à la société de le mener à terme. La consécration officielle ne constitue en définitive qu'un défi lancé aux militants, aux promoteurs et aux praticiens de cette langue ancestrale. L'écho des aînés qui ont mené ce combat continue de résonner et n'interpelle pas uniquement les gouvernants. La citation la plus connue de Mouloud Mammeri, dont on a célébré, l'année dernière, le centenaire de la naissance, est de nous inviter à l'école de tamazight. «Win yevghan tamazight, ad yissin tiras» (Celui qui aspire à tamazight doit apprendre à l'écrire).