Ainsi donc, pour se remettre un peu d'aplomb après la série de coups qui lui ont été assénés par ses détracteurs issus, pour la plupart, de son propre camp, Ouyahia a refusé, en tant que Premier ministre, de cautionner la conférence sur la transition énergétique organisée par le FCE. Autant dire, comme l'a commenté la presse nationale, que ce geste reflète un positionnement conjoncturel, qui a un sens en ces temps d'incertitude, puisqu'il traduit, ni plus ni moins, d'une volonté assumée de se démarquer (du moins dans cette période de trouble) d'une organisation patronale devenue un peu trop envahissante dans la sphère politique, surtout de son premier responsable dont le nom est bizarrement associé à tous les événements qui font grincer des dents. Ali Haddad serait-il devenu à ce point infréquentable comme l'a été, lorsque sa chute avait été programmée, un certain Moumen Khalifa, si on pense que les trajectoires de ces «deux étoiles filantes du système» possèdent quelques similitudes qui pourraient donner à réfléchir ? Ou alors faut-il voir dans l'attitude du Premier ministre une simple saute d'humeur passagère qui n'autoriserait aucune projection de ce genre, même si elle relève de la pure spéculation ? Une chose est sûre : Ouyahia, qui s'est retrouvé bien malgré lui dans l'œil du cyclone après un retour fracassant à la tête du gouvernement où il pensait avoir cette fois les coudées franches pour mener «sa» politique, ne fait jamais les choses avant de les peser. En prenant ses distances de manière aussi catégorique avec le Forum des chefs d'entreprise dans une initiative à caractère économique où sa participation était jugée importante pour le débat et les orientations de circonstance, il prend le risque de laisser planer l'idée d'une mésintelligence avec une entité couvée et protégée jusque- là avec le plus gros soin par le pouvoir, de libérer en tout cas un message sibyllin, celui de refuser désormais toute compromission qui pourrait encore enfoncer sa carrière ou de ce qu'il en reste. Derrière le geste, il y a Haddad et son organisation, qui ne seraient, dans cette optique, plus en odeur de sainteté avec le cercle présidentiel, qui a déjà envoyé sa première semonce en coupant court aux convoitises des oligarques à travers le processus de privatisation des entreprises publiques dans lequel était bien sûr impliqué celui qui veut être partout, là où il y a des bonnes affaires à réaliser et qui ne sait lui-même pas où commence et où s'arrête son Empire. Il y a comme un mauvais présage qui nous avertit que l'Algérie risque de connaître une autre histoire Khalifa, avec les péripéties de cet entrepreneur un peu spécial qui a l'art de faire jouer ses entrées et ses réseaux pour réussir les coups les plus fumeux et les plus improbables, pourvu qu'il se mette du bon côté de la barrière, un homme dont l'ascension fulgurante a paru dès le début très énigmatique aux Algériens, exactement comme l'a été celle du fameux «golden boy» et qui, en réponse à ceux qui le considèrent comme un prédateur et non comme un vrai manager, ne trouve pas meilleure formule que de déclarer n'avoir besoin de recevoir de leçons de patriotisme de personne. La vraie question en fait est de savoir si la machine commence à se retourner contre lui ou pas encore, car il y a déjà des signes avant-coureurs qui annoncent des jours plutôt sombres pour la vaste entreprise qu'il représente. Bouteflika, en piquant sa colère contre le bradage des entreprises publiques et pour se prémunir surtout contre une grogne des travailleurs qui s'annonçait encore plus tendue que celle du corps médical, a donné en quelque sorte le ton à une démarche politique plutôt intransigeante pour le privé version Haddad. La démarcation d'Ouyahia a suivi comme un ralliement qui ne fait aucune concession quand il s'agit de mettre à exécution la directive du Président, quitte à faire preuve d'un reniement sur tous les accords tacites passés et les accointances engagées jusque-là avec le représentant des oligarques. L'avenir nous dira si le cercle présidentiel a agi en conscience devant le danger grandissant que porte en lui le monde des affairistes véreux, mais toujours est-il que la brutalité de la sentence contre la montée du péril oligarque nous rappelle celle qui avait été formulée en direct à la Télévision nationale par le même Bouteflika, alors à son premier mandat, en faveur de la protection de la compagnie aérienne nationale (Air Algérie) sérieusement concurrencée par la Khalifa Airways sortie de nulle part et d'existence pourtant récente. Le monstre Khalifa avait été admis jusqu'au jour où il commençait à faire de la politique et à tourner le dos à un système qui lui avait ouvert toutes les portes. Sa chute devenait irréversible. On ne sait pas si le Président nourrit aujourd'hui le même sentiment de rejet pour Haddad et la tendance qu'il incarne, mais à la place du patron des patrons, d'aucuns se sentiraient dans les jours qui viennent moins «rassurés» que d'habitude, car il y a des positions qui sonnent plus fort que des mises en garde. Les fortunes amassées avec l'argent public, la plupart du temps sous forme de passe-droits et de gratifications pour simple allégeance sont difficilement acceptées par la conscience collective, même si en Algérie il n'est pas interdit de s'enrichir en dehors des circuits de la corruption. C'est en tout cas à ce phénomène de fausse bourgeoisie prédatrice qui semble ne reculer devant rien que les Algériens sont confrontés. Notamment les travailleurs et fonctionnaires qui vivent de leur fiche de paie et qui voient défiler devant leurs yeux toute une catégorie d'affairistes roulant carrosse et exhibant un luxe tapageur, alors que dans le fond tout le monde sait que ces fortunes étalées au grand jour ne sont généralement le fruit ni d'un travail méritant, ni d'un talent, ni d'un génie quelconque. Tout le monde sait aussi que l'échelle des valeurs dans notre pays est inversée depuis longtemps, et que faire des études est devenu moins valorisant que verser dans le business. Il suffit de se référer à l'image que véhicule le patron des patrons au sommet de la pyramide pour s'en convaincre. C'est un symbole de la médiocrité, mais il n'est pas le seul, loin s'en faut. C'est à se demander si le pays n'est pas frappé d'une malédiction innommable lorsqu'on a tant d'incompétences dans les sphères de direction les plus sensibles.