Un ancien diplomate nous a dit à propos de l'offensive lancée contre l'affairisme douteux : «S'enrichir ne dérange pas réellement le Président, qui pense d'ailleurs que pour assumer leurs fonctions, les dirigeants doivent être bien installés socialement. C'est quand vous le menacez politiquement que vous devenez un adversaire à abattre.» Ali Haddad n'est dans cette optique ; il n'est ni le premier, et certainement pas le dernier à subir les foudres du Zaïm pour avoir eu l'outrecuidance de venir piétiner des plates-bandes codifiées et rigoureusement cadrées selon la philosophie du système, où le rapport d'allégeance est institutionnalisé. Avant lui, des personnalités pesant plus lourdement que lui sur l'échiquier, comme Ouyahia, Belkhadem, ou même tout récemment Sellal, l'ont appris à leurs dépens, en voulant s'affranchir des règles établies. Pour le Premier ministre sortant, la raison est encore plus grave, puisqu'on l'a associé à un «projet politique» qui respirerait quelque part la sédition. Ce n'est donc pas spécialement pour sa fortune que le patron des patrons a été mis dans le collimateur, mais bien pour l'influence qu'il a voulu se construire dans la sphère politique, où le rôle qui lui était dédié ne dépassait pas celui de simple comparse. Bien sûr que le dossier de ses affaires n'est pas tellement clean, et qu'il n'y a rien d'étonnant à trouver des choses louches qui intéressent la justice, mais c'est son ambition à vouloir se placer parmi les puissants du régime, ceux qui détiennent les leviers de la décision, qui l'aurait finalement trahi, au point d'en faire aujourd'hui la figure de proue d'un secteur patronal livré à la suspicion en raison de ses scories corrompues et corruptrices. Pour une personne de son entourage professionnel, Ali Haddad se voyait encore plus haut dans la hiérarchie. Malgré son très bas niveau intellectuel, ses faiblesses flagrantes en matière d'expertise dans les domaines d'activité où il s'est investi pour gagner de l'argent, il ne reculait devant rien. Il se disait que dans ce pays, il suffisait d'être ambitieux, de savoir faire du business et de compter sur les bons supports pour réussir. Apparemment, c'est un peu la trajectoire de sa singulière histoire. Il n'a pas manqué de prétention en partant de presque rien, d'une modeste entreprise familiale, avant de se retrouver au bout de quelques années à la tête d'un véritable empire qu'il n'arrivait plus à contrôler tellement il a été diversifié, mais sans être réellement agencé et structuré. L'empire Haddad a gonflé au fur et à mesure que les commandes publiques affluaient et au gré des transferts de liquidités autorisées par les banques étatiques pour financer des projets dont la réalisation, pourtant, restait selon des experts théoriquement très aléatoire. S'apercevoir aujourd'hui qu'un très fort pourcentage de ses projets se trouve à la traîne par rapport aux échéances programmées, et qu'il n'a remboursé qu'une infime partie de ses dettes, relèverait dans ce contexte de la pure manigance politicienne pour des visées qui restent à décrypter, car de deux choses l'une : soit on a laissé faire l'entrepreneur indélicat sans se soucier des conséquences de ses chantiers sur l'économie, soit les services de contrôle de l'Etat ont été défaillants. Pour Haddad, le grand «sacrifice» qu'il avait fait en s'insérant volontairement parmi les plus importants argentiers de deux mandats du Président valait toutes les peines. Ce geste qui lui donnait le droit de croire qu'il avait participé à la réussite de l'élection du Président méritait, selon lui, un retour de manivelle. Le cercle présidentiel le comprit et lui assura donc progressivement une propulsion dans le monde politique, où Haddad mesura toute la dimension de sa nouvelle personnalité. Lorsqu'il fut intronisé à la tête du FCE au prix d'une rocambolesque mise en scène dans laquelle le Pouvoir affichait fièrement son sponsoring pour un homme qu'il savait bien en deça de la responsabilité qu'il lui confiait, Ali Haddad comprit qu'avec l'argent on pouvait acheter la puissance et la respectabilité. Sans être un vrai bâtisseur, comme on en voit dans les pays capitalistes où les grands entrepreneurs se font de l'argent, mais participent réellement au développement du pays, le patron des patrons a passé son temps à courir après les marchés dans le seul but d'améliorer les soldes de ses comptes bancaires en Algérie et à l'étranger où il a acquis de nombreux biens immobiliers en transférant des capitaux. Il est clair que sans la bénédiction des barons du pouvoir, Ali Haddad n'aurait jamais pu accéder à une richesse aussi insolente et à une «notoriété» publique aussi controversée, car il ne possède ni le talent, ni les connaissances requises, ni la maîtrise professionnelle exigée dans des secteurs vitaux. C'est pour le financement des campagnes présidentielles et pour son allégeance au système qu'il a profité d'une «manne» providentielle et d'une couverture politique adaptée aux besoins, avant de voir sa vie transformée. Ils sont très nombreux les oligarques comme lui qui aspiraient à la fortune facile et à l'accès au pouvoir. Ils ont aujourd'hui pignon sur rue, et tout comme lui, ne servent qu'artificiellement l'économie nationale. Des concessionnaires automobiles qui ont toujours triché avec l'Etat concernant les impératifs d'investissement créateurs d'emplois, aux investisseurs déclarés dans une multitude de domaines mais sans l'expertise technique et technologique voulue, les noms sont connus et ont tous bénéficié du coup de pouce salutaire pour s'émanciper avec, généralement l'argent du contribuable comme source de financement. L'arrogance et le mépris des lois en plus… Pour revenir à l'offensive Teboune, qui veut faire croire à une réaction énergique du gouvernement contre les milieux mafieux et la corruption, la cible Haddad ne peut être qu'un prétexte pour se valoriser devant l'opinion, au moment où la société a du mal à contenir sa colère sociale. Le mal est en profondeur, et ce n'est pas avec des attaques médiatiques qui ressemblent plus à des règlements de comptes qu'à des opérations d'assainissement qu'on arrivera à le guérir. La seule thérapie possible reste le retour à un Etat de droit, où l'autoritarisme et les combines de sérail ne seront plus permis, et où l'intelligence, la compétence et la droiture seront les voies incontournables pour la notoriété.