Alors que rien ne le prédestinait à cette fonction, le FCE a pris la décision de se transformer en syndicat. Apparemment, il n'intégrera pas la centrale de Sidi Saïd puisqu'il sera autonome. Mais avec quel statut ? Syndicat-maison pour appuyer le régime dans sa politique antisociale comme le fait d'ailleurs très bien l'UGTA, ou syndicat revendicatif de luxe pour défendre les intérêts des… employeurs si jamais ceux-ci seraient bafoués ? L'organisation patronale qui donnerait ainsi l'impression de passer de l'autre côté de la barrière sans pour autant abandonner sa vocation originelle de jouer en quelque sorte sur une partition à double intonation pour la même musique, voilà qui paraît un peu bizarre au moment où ce Forum qui regroupe la crème des managers et des capitaines d'industrie ne sait plus sur quel pied danser pour suivre les valses-hésitations du gouvernement. Bien que la question de savoir si le FCE aura à l'avenir le même poids et la même autorité qui lui ont été accordés jusque-là dans le cadre de la tripartite mérite d'être posée, il paraît pour certains observateurs de plus en plus évident que le club fermé façonné au mode Ali Haddad n'arrive plus à trouver ses marques depuis que son actuel chef a pris la liberté de se muer davantage sur le terrain de la politique que sur celui de l'entrepreneuriat où ses missions sont plus précises et moins compromettantes. On compte de nombreux membres du patronat plus ou moins influents qui pensent que leur organisation s'est retrouvée sur des sables mouvants sans qu'elle ait eu vraiment le choix de ses positionnements. Pour accréditer cette thèse d'un glissement qui s'opère au fur et à mesure que la crise économique et sociale prend du volume, ils n'hésitent pas à faire le parallèle avec la gestion de Réda Hamiani où le rôle de l'organisation patronale paraissait plus clair, en tous cas plus conforme avec ses objectifs strictement économiques. Entre les deux responsables, il y avait une nette différence dans la manière de diriger un organisme qui avait sa place et son importance dans le débat des règlements sociaux et des projections économiques stratégiques. Alors que Hamiani évitait avec beaucoup d'intelligence de se fourvoyer dans le système des compromis et des compromissions qui rendent caduc l'esprit d'initiative et par extension la liberté d'avoir une réelle ouverture d'opinion, Haddad trouve au contraire ses meilleures sensations en s'affichant ostensiblement avec les barons du régime pour mieux affirmer son autorité. Autant le premier se faisait discret avec la presse quand il n'avait rien à dire de spécial, autant le second ne rechigne pas au relais médiatique allant jusqu'à mettre à sa disposition une force télévisuelle considérable qu'aucun entrepreneur privé national n'a pu posséder au jour d'aujourd'hui. C'est assurément un privilège colossal dont il va se servir pour aller toujours plus haut dans la hiérarchie. Mais en vérité, ce sont ses accointances avec le cercle des Bouteflika, notamment sa proximité (ou l'amitié) avec le frère du Président qu'il n'a jamais cachée qui lui ont permis de s'aménager une «présence» parmi les décideurs, et non pas le travail de concertation effectué à la tête de l'organisation qu'il représente et qui est censé être sa meilleure carte de crédibilité. Le patron des patrons qui a d'ailleurs été coopté à la tête du Forum par les barons du régime lesquels, pour valider son allégeance avant même qu'il ait pris ses fonctions, ont envoyé à son investiture le gouvernement au complet pour le soutenir, a tout fait depuis pour marquer son territoire, et donc paraître comme étant une personnalité politique qui a son influence sur l'échiquier économique. A travers lui, le concept de l'oligarchie conquérante des espaces politiques est devenu plus visible, autrement dit c'est la puissance d'argent qui s'est affirmée comme partenaire et allié d'un système rentier de plus en plus décrié. Lorsque l'on sait que son prédécesseur a carrément refusé de s'impliquer dans le quatrième mandat de Bouteflika, ce qui lui a sûrement servi pour rendre le tablier, on comprend mieux la détermination de cet homme qui a utilisé, lui, le Forum comme tremplin pour ses ambitions avant de mettre l'organisation tout entière dans l'embarras. Bien sûr qu'à l'intérieur de la maison, on reste très discret sur les dissensions qui affectent l'esprit d'engagement de ses membres. On se montre solidaire pour ne pas nuire encore davantage à l'institution, mais en filigrane tout le monde dans cet aréopage n'est pas d'accord avec les agissements du Chef qui souvent, dit-on, ne sont pas partagés avec la majorité. Faut-il donc voir dans ce passage au statut de syndicat l'expression même timide d'une volonté de changer les choses dans une organisation qui se voit éloignée de ses objectifs et de ses fondamentaux ? Y a-t-il lieu de croire qu'il y a aujourd'hui une intention ou une exigence pour extirper progressivement le patronat de sa dépendance politique et le remettre dans la voie initiale qu'il s'était tracée, à savoir celle d'un simple partenaire économique, ni plus ni moins ? Mais encore faut-il que si tel était le cas, il aurait la latitude de s'exprimer totalement alors que tout le monde sait que dans notre pays les syndicats autonomes sont toujours rejetés par le pouvoir. Régime spécial pour Haddad et son organisation ? Ce qui est sûr, c'est que quelle que soit la variante de l'appellation qu'elle se donne, cette dernière ne sera pas encore prête à couper le cordon avec l'esprit qui anime la centrale UGTA où la concordance de ton doit être de mise quand le sérail engage sa réputation. On est encore loin d'avoir une structure ou une formation syndicale indépendante qui défendra en même temps les patrons et les travailleurs dans une logique qui semble plutôt utopique. Plus on fraye dans les eaux du système, et plus on est enclin à devenir un vulgaire instrument de propagande. Ce qui revient à dire que dans un sens ou dans l'autre, le syndicat de Haddad ne perdra pas au change tant qu'il respectera les lignes. Pour le moment, tout comme le patron du syndicat officiel, celui-ci est en option stand-by après les déboires qu'a eus la double tripartite, l'une organisée par le Premier ministre, l'autre par le chef du FLN sur le thème du partenariat public-privé qui a dérivé sur le problème des privatisations des entreprises étatiques. Dans les deux séquences, les deux acolytes ont été sermonnés pour leur ratage. C'est dire si leur avenir respectif n'est pas dans le flou…