Les désaccords américano-turcs au sujet de l'offensive turque en Syrie contre une milice kurde parrainée par Washington ont éclaté au grand jour hier. Les deux parties livrant des versions divergentes d'un entretien entre les présidents américain et turc. Depuis le début de l'offensive, le 20 janvier, Washington s'était gardé de condamner Ankara, se contenant d'appels à la retenue. Mais l'entretien téléphonique de mercredi soir entre les présidents Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan a marqué un durcissement. Selon le compte-rendu de la Maison-Blanche, Trump a «exhorté la Turquie à réduire et limiter ses actions militaires» et demandé à son homologue d'éviter «toute action qui risquerait de provoquer un affrontement entre les forces turques et américaines». Trump a aussi insisté, selon la Maison-Blanche, sur le fait que «les deux pays doivent concentrer (leurs) efforts (...) sur la défaite de l'EI». Si le président américain a reconnu que la Turquie pouvait avoir «des inquiétudes légitimes» en termes de sécurité, il a toutefois exprimé sa préoccupation à propos de la rhétorique anti-américaine «fausse et destructrice venant de la Turquie». Mais Ankara s'est inscrit hier en faux par rapport à cette version, affirmant qu'elle ne reflétait pas la teneur de l'entretien. Inquiétude «Le président Trump n'a pas exprimé d'inquiétude (à propos) d'une escalade de la violence» à Afrine, mais a évoqué «la nécessité de limiter la durée de l'opération turque», selon des sources officielles turques. La présidence turque a démenti également l'inquiétude de Trump «à propos de la rhétorique fausse et destructrice venant de la Turquie», affirmant que le président américain avait -simplement indiqué que les critiques turques à l'égard des Etats-Unis suscitaient «des inquiétudes à Washington». Cette passe d'armes au sujet de l'entretien illustre le fossé séparant les deux pays au sujet des Unités de protection du Peuple (YPG), la milice kurde visée par l'attaque d'Afrine. Liées au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) qui livre une guérilla meurtrière en Turquie depuis 1984, les YPG sont considérées comme une organisation «terroriste» par la Turquie qui veut les déloger d'Afrine, et, à terme, de tous les territoires qu'elles contrôlent dans le nord de la Syrie le long de la frontière turque. Cette approche empoisonne depuis des mois les relations entre Ankara et Washington qui s'appuie sur les YPG pour combattre sur le terrain le groupe Etat islamique (EI) et n'entend pas les lâcher au moment où les djihadistes sont militairement en déroute. Les YPG ont mis à profit leur alliance avec Washington pour étendre leur contrôle sur de vastes territoires dans le nord de la Syrie d'où les djihadistes ont été chassés. Accusations Ankara s'appuie dans son offensive à Afrine sur plusieurs groupes de rebelles syriens, issus pour la plupart de la mouvance islamiste, qui accusent les milices kurdes de chercher à diviser la Syrie en établissant leur propre entité dans le nord du pays. La Turquie affirme en outre avoir lancé son offensive en accord avec la Russie, soutien du régime de Damas et acteur-clef du conflit syrien. Moscou a annoncé au début de l'attaque turque avoir retiré des soldats russes qui étaient stationnés à Afrine. Alors que l'offensive turque entre dans son sixième jour, un nouveau round de pourparlers de paix sur la Syrie s'ouvre jeudi à Vienne. Au lendemain de l'entretien Erdogan-Trump, le Premier ministre turc Binali Yildirim est revenu à la charge hier en dénonçant le soutien «incompréhensible et inacceptable» de Washington aux YPG. «Qu'un pays comme l'Amérique s'associe avec une organisation terroriste pour mettre en œuvre ses plans régionaux, c'est, pour l'Amérique, une situation avilissante», a lancé M. Yildirim lors d'un discours à Ankara. La Turquie a déclenché son opération après l'annonce par la coalition de la création d'une force frontalière de 30 000 hommes dans le nord de la Syrie, avec en particulier des combattants des YPG. Depuis samedi, plus de 90 combattants des YPG et des groupes rebelles syriens pro-turcs ont été tués, ainsi que 30 civils, la plupart dans des bombardements turcs, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Ankara dément avoir touché des civils. Trois soldats turcs ont également été tués, selon la Turquie, qui affirme pour sa part avoir éliminé plus de 300 «terroristes». Mercredi, deux roquettes tirées de Syrie ont fait deux morts à Kilis dans le sud de la Turquie, portant à quatre le nombre de personnes tuées dans des attaques à la roquette imputées aux YPG depuis le lancement de l'offensive turque, baptisée «Rameau d'olivier».