Le 30e Festival du Caire a distingué le film chinois The Road, de Zhang Jiarui, pour La Pyramide d'Or et deux films arabes Barakat (Algérie) et Cut and Paste (Egypte) de Hala Khalil comme meilleures productions. On doit dire les choses comme elles sont, voir toutes ces productions du 30e Festival du Caire bien en face pour conclure que le cinéma s'en sort peu honorablement. Comme dans chaque festival, on craint que le cinéma d'art tend plutôt à disparaître au profit de productions passe-partout. Dans toutes les séries de films catalans et latins montrés au Caire, peu valaient le déplacement. Constat amer aussi pour le cinéma égyptien actuel, précédé de rumeurs d'argent douteux et donnant lieu à des débats houleux. Qualité d'ensemble : médiocre. La nuée de critiques misris qui peuple les projections de la section internationale n'est pas allée voir Barakat !, mais le jury était bien là, à sa tête Farida Benlyazid, cinéaste tangéroise, pour décider que le travail de D. Sahraoui et Hala Khalil en valait la chandelle, dans une section où il y avait en lice la Syrie, la Tunisie, le Maroc, Oman… Il nous restait encore à courir à l'université américaine du Caire pour voir les chroniques cairotes de Naguib Mahfouz, devenues objets de culte cinéphile. A la vitrine du Festival du Caire, il y avait aussi la tribu asiatique, des cinéastes venus avec leurs films d'Inde, de Philippines, de Sri Lanka et de Chine. Le jury international, présidé par l'Argentin Luis Puenzo, a remis le grand prix au Chinois Zhang Jiarui pour sa fresque de deux heures The Road, sur l'époque aujourd'hui honnie de la révolution culturelle prolétarienne. En 1966, les Gardes rouges ont déclenché au nom du leader Mao Tsé-toung une vaste chasse aux intellectuels, poètes, scientifiques et les envoyaient « refaire leur éducation » dans des camps de travail, des carrières de pierre où l'existence était inhumaine. On voit les meilleurs poètes, les plus grands savants de Chine accroupis dans le désert en train de casser des pierres. Cette époque, aujourd'hui dénoncée en Chine, a failli mener le pays tout droit à la catastrophe. Le film de Zhang Jiarui analyse le comportement humiliant et féroce de la soldatesque des Gardes rouges et rappelle toutes les horreurs qu'elle a commises. On savait déjà, selon certains témoignages, que le grand cinéaste Chen Kaige, aujourd'hui vivant aux Etats-Unis, a été obligé de dénoncer son propre père par les Gardes rogues. Et encore plus terrible : la mort du grand poète Lao Shé retrouvé « suicidé » dans un parc de Pékin. Sa veuve et ses proches ont toujours su qu'il a été abattu par les Gardes rouges. Même si ces éléments historiques n'apparaissent pas directement dans The Road (la censure veille encore à ne pas laisser s'exprimer des points de vue très libres dans un film fait dans les studios officiels de Pékin), il y a néanmoins dans cette histoire une analyse profonde de cette époque quasiment sado-sanguinaire. Un peu à la manière des grands westerns de John Ford qui nous montraient comment les cow-boys chassaient impitoyablement les indiens et faisaient table rase de leur histoire, de leur culture, de toute leur vie. En Chine, dans les années 1960, les Apaches, c'étaient les poètes, les peintres, les savants… Dans The Road, tout est dit sans le dire de cette descente aux enfers. C'est enrobé dans une banale histoire d'amour d'une jeune femme que les Gardes rouges obligent de force à se marier avec un conducteur d'autobus « ouvrier modèle » ayant une fois touché la main de Mao, alors que la pauvre ne cesse de vouloir retrouver son amant, un médecin envoyé dans les camps… Le cinéma chinois, à travers ce genre de film, essaye peut-être de se refaire une virginité, comme pour dire ce temps-là est fini, bien révolu… Le Caire De notre envoyé spécial