Sur les murs de la cité historique, l'art de rue s'exprime en liberté... Sous les regards enchantés des passants, marquant souvent un arrêt pour tenter de décortiquer son œuvre, le jeune graffeur, Reda, alias Sadik, en est à la dernière ligne droite, après une semaine de travail presque sans trêve. Sur un fond bleu avenant, il enlumine sa gigantesque fresque murale avec des glyphes, en hommage à Momo, figure emblématique de La Casbah. L'artiste, étudiant en gestion, a choisi de raviver la mémoire de l'inénarrable poète et acteur, Himoud Brahimi, dit «Momo». Sur les hauteurs de la vieille cité, près de la mosquée Sidi Ramdane, la plus ancienne d'Alger, sa fresque reproduit le célèbre poème de Momo, «Ya bahdjati», qu'il récite dans le film Tahia ya didou (1971) de Mohamed Zinet. A moins d'une centaine de mètres de là, traversant quelques venelles, on découvre un autre spot qui vient d'être réalisé par le graffeur Sneak, qui a choisi, pour sa part, d'illustrer son propos en «calligraffiti» (amalgame de calligraphies et de graffitis). Un inextricable entrelacs de lettres surmonté de deux clés, visiblement celles d'Alger, remises par le Dey Hussein au chef de l'expédition coloniale en 1830 et confisquées en France jusqu'à nos jours. De son côté, l'initiateur du projet global, Houssem Mokeddem, alias Mok, a opté pour un collage photo. Un gigantesque portrait de Si Benali, plombier nonagénaire très renommé dans la Basse Casbah. Au total, c'est une quinzaine d'artistes, tous bénévoles, qui s'est exprimée par des fresques, illustrations ou collages de photos sur les murs de la vieille ville durant une semaine. Ils ont investi des placettes où ils bénéficient d'un maximum d'espace. Les sept spots qu'ils ont conçus et réalisés forment un parcours vertical à travers La Casbah. Financé par l'Unesco et soutenu par le ministère de la Culture, le projet «Casbah behind the legacy» (… derrière l'héritage) s'est tenu en marge de la réunion internationale sur la revitalisation des villes historiques (Alger, 21-23 janvier). Pour l'initiateur, l'humain est au centre de la démarche. Le projet est donc axé sur le patrimoine immatériel plutôt que matériel. «L'idée, c'est de pouvoir travailler sur La Casbah, en abordant surtout la mémoire du peuple», déclare-t-il. C'est un travail sur «le bâti mais aussi et surtout sur la culture». Les œuvres sont fortement inspirées de la culture qui baigne l'ancienne cité. De plus, cette manifestation artistique se veut participative et se déroule au cœur de La Casbah, noyau historique et architectural de la capitale qui, faut-il le rappeler, figure sur la liste du patrimoine universel de l'humanité depuis 1992. Pour Houssem, le projet est surtout une question de communication, de «discussion avec le peuple». Les acteurs de l'initiative ont librement choisi leurs contenus. Mais, au-delà des autorisations officielles, ce sont les voisins qui ont le dernier mot. Une œuvre a même été «vandalisée»… Ceci dit, la plupart des habitants ont suivi avec enthousiasme cette aventure artistique. Certains ont même trouvé le moyen d'apporter leurs pierres à l'édifice. «Il faut que le peuple commence à s'approprier la culture qui est souvent encastrée dans des musées», affirme Mok, architecte de formation et photographe de rue par passion. Le projet n'entend pas se limiter à des fresques sur des murs qui menacent ruine. Cette synergie de couleurs et de formes vise à ouvrir le champ de la réflexion et de l'interaction avec les habitants de la cité autour de la conservation de son patrimoine et de son héritage. S'il reste certainement du pain sur la planche, Mokeddem et ses compagnons sont optimistes. «Si on a toujours l'appui de l'Office (Nnlr : OGEBC*), on pourra démarrer sur d'autres projets à travers d'autres wilayas», espère-t-il. Des artistes ont même fait le déplacement depuis Annaba et Sidi Bel Abbès... Certains restaient sur leurs «chantiers» jusqu'à des heures tardives, voire passaient des nuits blanches sur les échafaudages à la lumière des projecteurs. Malgré les conditions difficiles, notamment le mauvais temps, et une durée limitée («une semaine», affirme l'initiateur), les jeunes artistes ont pu laisser libre cours à leur imagination en choisissant leurs propres approches. Graffeurs, graphistes, illustrateurs et photographes… Tous s'accordent sur «une certaine liberté d'expression» dans la conduite du projet. Les habitants de tout âge, qui ont apprécié cette indépendance, ont accueilli l'initiative les bras ouverts. Certains ont même ouvert les portes de leurs demeures aux artistes. C'est le cas de Nadjib Bouznad. Le photographe a accédé à une terrasse, l'a photographiée et a collé sa photo sur la façade arrière dudit foyer. Une façon d'effacer le mur pour ouvrir la perspective sur la mer. Une démarche qui nous rappelle ce règlement, datant du 16e siècle, qui stipulait que toutes les maisons de La Casbah se devaient d'avoir une terrasse et une vue sur la mer… Les contrevenants avaient la tête tranchée par les janissaires ! Ainsi, les habitants de la médina ont encore une fois fait preuve de convivialité. De vives appréciations, réactions et encouragements ont été manifestés à l'égard des artistes. «Ils nous ont enjolivé le quartier», pouvait-on entendre à maintes reprises. On contemplait avec joie le grand portrait de Si Benali qu'on revendiquait fièrement «vrai fils du quartier». On s'arrêtait sous les fresques pour s'interroger, souvent auprès des peintres, tant sur le fond que sur la forme. Minutieux et davantage concernés, certains se souciaient des moindres détails. La représentation d'un marin en bleu de chauffe a, par exemple, suscité de vives réactions quant à la capuche ajoutée au mythique «Shangai» par l'artiste. Les enfants de La Casbah sont consciencieux en termes de codes vestimentaires algérois ! Force est de rappeler cependant qu'ils habitent des murs qui menacent à tout moment de s'effondrer. Le rôle des riverains est sans doute crucial pour la conservation de ces lieux historiques à plus d'un titre. Ils en sont les plus concernés et, surtout, les plus touchés. L'action concrète des autorités est urgente pour une restauration et une dynamique de la Casbah en dialogue avec ses habitants.