Malgré la pluie et le froid, le marché de véhicules d'occasion de Tidjellabine (Boumerdès) était noir de monde samedi dernier. Connu par les grands et les petits, ce lieu de négoce de voitures usagées est le plus important du pays. Il est 8h. L'entrée du marché, qui donne sur le RN5, est ponctuée de part et d'autre avec un décor attractif constitué par les grosses cylindrées. Bien alignées, des Rang Rover, Tiguan, VW Mercedes, Kia Sportage… subjuguent les visiteurs. La plupart sont immatriculées entre 2012 et 2013, la période ayant précédé la chute des cours du pétrole et l'arrêt des importations des véhicules. Ces bolides font oublier la crise, mais ils sont aussi un signe de richesse souvent mal acquise. Ces véhicules font penser aux puissants, à l'argent sale, à l'affairisme, au gain facile et bien évidemment à la corruption. Les gens vont dans tous les sens, mais ils ne s'attardent pas. Les prix de ces voitures de luxe sont inabordables. Très prisées en ces temps de vaches maigres, les voitures de la classe moyenne sont exposées un peu plus loin. On trouve même celles qui viennent à peine de sortir des usines de montage, à l'instar des Dacia Stepway ou les nouvelles Hyndai i10. Cependant, les transactions sont très rares. Des négociations se font autour d'une Renault Symbol, 1.6 ess neuve, 90 ch. Son propriétaire, Walid (23 ans), natif de Bouzaréah, se montre intransigeant. «Je ne la céderai pas en dessous de 190 millions de centimes», tranche-t-il sèchement. Chez Renault Algérie, la Symbol made in Algéria est vendue à 163 millions. Mais pour l'acquérir auprès du concessionnaire, le client doit attendre parfois jusqu'à huit mois minimum pour la livraison. Abordé en privé, Walid avoue qu'il est revendeur depuis trois ans. Issu d'une famille de commerçants, il s'est retrouvé à faire ce «métier» en raison de sa non-pénibilité et l'importance des gains que cela lui rapporte. Comment a-t-il fait pour avoir la Symbol et la revendre 25 millions de plus sur le marché parallèle ? Il refuse de nous en dire plus. Mais Walid n'est pas un cas à part. Raouf (27 ans), un revendeur natif de Mila, propose une Kia Picanto, un modèle très à la mode pour les jeunes, immatriculée en 2016 avec 64 000 kilomètres au compteur, il demande 180 millions. Impatient, Raouf guette un éventuel acheteur. «Je suis venu de Chelghoum Laïd. J'ai passé la nuit ici. J'ai payé 1500 DA pour accéder au marché et 300 DA comme les frais de gardiennage pour enfin ne pas trouver d'acheteur. Les gens sont très réticents. Ils s'informent juste sur les montants offerts, mais n'osent pas en rajouter car la plupart sont des revendeurs comme moi», s'attriste-t-il. Raouf dit avoir déjà fait rentrer sa Picanto trois fois au marché. Une fois à Sétif, puis à Aïn Touta (Batna) et la semaine passée au marché d'El Hamma à Constantine, en vain. «Le marché a stagné. D'habitude, je tourne avec une moyenne de 3 véhicules par mois. Je gagne jusqu'à 10 millions par transaction. Mais la situation a changé depuis le début de l'année. Il y a quinze jours, j'ai acheté une 308 immatriculée en 2012 pour 164 millions. Elle était accidentée. Je l'ai réparée pour 22 millions. A la fin, je l'ai revendue à 171 millions. C'est pour vous dire que les choses n'évoluent pas comme on le souhaite», confie-t-il. Un marché juteux… non régulé Juste à côté de la Picanto, un autre revendeur propose une Hyundai i10/2018 à 181 millions. La voiture coûte 168 millions chez Cima Motors Tahkout, mais la livraison se fait après trois mois d'attente. Nous nous engouffrons un peu plus dans le marché créé à la fin des années 80' du temps de l'ex-P/APC Mohamed Charef, actuellement cadre à Air Algérie. L'ambiance est plutôt morose. Les visages sont crispés. Les averses de la matinée ont rendu la circulation impraticable, les gens marchaient dans la boue. Certains endroits n'ont rien à envier aux champs de patates. Le marché fait rentrer 14 milliards de centimes par an à la commune, mais il est toujours à l'état de piste. Aucune opération d'aménagement n'a été entreprise sur les lieux. Apostrophé devant un vendeur de brochettes, Djamel (42 ans) est venu de Blida avec un mécanicien pour acheter une voiture touristique. «J'avais une Polo année 2005. Je l'ai liquidée en octobre dernier pour m'offrir une Dacia Stepway. Mais les prix sont inabordables», avoue-t-il, désappointé. «J'ai remarqué qu'il y a plus de revendeurs que d'acheteurs. Et ce sont les premiers qui contrôlent les prix. Certes, nul ne peut nier l'impact de la dévaluation du dinar et l'arrêt des importations, mais l'Etat n'a rien fait pour réguler le marché parallèle des voitures d'occasion. Aujourd'hui, seuls les véhicules touristiques de moins de 5 ans sont soumis au payement d'une taxe allant jusqu'à 15 000 DA en cas de vente. Le drame, c'est l'acheteur qui doit s'en acquitter mais pas le vendeur. Pour les véhicules lourds, la taxe dépasse 100 000 DA. Est-ce normal ?» se désole-t-il. «Même la Maruti a pris des ailes !» Pour lui, la situation ne changera pas de sitôt, même avec l'ouverture d'autres usines de montage. «Le marché des véhicules d'occasion est un filon assez lucratif qui doit être organisé et régulé. Car aujourd'hui, tout le monde s'y retrouve, sauf le citoyen lambda» Ahmed, un quinquagénaire de Lakhdaria (Bouira), lui, est venu pour acheter une petite voiture de marque chinoise, pensant que les prix étaient à sa portée. Mais il s'est trompé de calculs. Une Chéry QQ 2017 avec 18 000 au compteur est proposée à 150 millions alors qu'elle valait 60 millions en 2013. Même la fameuse Maruti a pris des ailes. Celle qui a roulé six ans est cédée entre 55 et 60 millions. Au carré des véhicules utilitaires, l'atmosphère n'est pas en reste. La déception se lisait sur tous les visages. L'arrêt des importations a fait doubler les prix. Un fourgon Jumper Citroën 2011, très abimé, est proposé à 2010 millions tandis qu'une Reneault Kango 2011, se négociait à 151 millions. Le marché commençait à se vider vers 10h. Mais on ne s'en sort pas comme on y rentre. D'abord à cause de la boue, mais aussi avec une idée sur les pratiques abracadabrantes des revendeurs, dont certains propagent de fausses informations à desseins afin de faire marcher leurs affaires. Virée au siège de l'état civil de la localité, sis à 2km du marché. Cette annexe qui ouvre tous les samedis est presque vide. Les personnes qui s'affairaient à remplir les premières formalités de vente/d'achat se comptent sur les doigts d'une main. Le responsable de la structure fait état d'une trentaine de transactions conclues, précisant en avoir enregistré plus de 130/j en 2017.