Le docteur Saïd Sadi a annoncé hier son retrait du parti, lors de son intervention durant la première journée des travaux du 5e congrès ordinaire du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). L'ancien président de cette formation porte un regard sévère sur la conjoncture politique du pays. Fin d'une époque. Exit le RCD. Nouvelle appellation et probable naissance des Progressistes. Changement ou pas, en tout cas ça sera sans le chef historique Saïd Sadi, qui a annoncé ne plus faire partie, dès hier, de ce parti. Qui aurait pu ainsi imaginer un jour le RCD sans le Docteur ? En l'annonçant, il jette un froid sous le chapiteau du Hilton, laissant les congressistes interloqués. Non sans rappeler son fameux retrait des responsabilités lors du quatrième congrès en 2012. Mais avec sa légendaire répartie dont il détient le secret, il a su faire passer le sens de son acte et convaincre de son importance. «N'étant pas congressiste et n'étant plus, depuis ce matin, militant, je ne vais pas m'exprimer en tant que fondateur du parti comme cela a été suggéré. On ne fonde pas un parti pour le posséder ad vitam æternam.» «Je serai engagé dans d'autres registres et sur d'autres terrains, mais je partagerai toujours avec vous nos postulats éthiques et j'honorerai comme au premier jour nos professions de foi», promet-il. L'intervention du fondateur du parti était par excellence le moment marquant de ce 5e congrès du RCD, au risque même d'occulter l'événement lui-même. Dernier à intervenir après tous les invités politiques algériens et étrangers, quand il monte à la tribune, Saïd Sadi est fortement acclamé par les congressistes, comme pour réaffirmer leur loyauté à celui qui fut leur leader pendant longtemps et qu'ils ne veulent pas voir partir. Sans doute, l'homme restera l'une des figures de référence pour le courant démocratique du pays, surtout en ces moments de récession politique et d'abaissement moral et éthique. Le verbe haut, ton grave, Saïd Sadi remonte dans l'histoire contemporaine de l'Algérie pour expliquer le sens et l'origine des combats d'hier, de ceux de sa génération inscrits comme prolongement naturel d'une histoire millénaire. «La régression politique et sociétale qui a suivi l'ouverture frelatée d'Octobre 1988 repose les questions fondamentales du projet alternatif au système algérien et, à ce titre, le parcours de la génération d'Avril 1980 est utile à revisiter. Il ne s'agit donc pas, pour moi, de dire ici à des congressistes qui n'ont pas encore entamé leurs débats ce qu'ils doivent faire, quand, avec qui, ou comment opérer… Ce qu'il est important de connaître et de transmettre, c'est autre chose. Dans l'histoire de l'Algérie contemporaine, et au-delà des aspects tactiques et décisions qui ont été prises ici ou là, la phase actuelle exige de redécouvrir et d'interroger les valeurs et les visions ayant engendré les grandes épopées qui ont libéré le peuple, afin de voir dans quelle mesure elles peuvent éclairer les luttes actuelles», amorce-t-il. «Janissaires de l'histoire» «Pourquoi nous sommes nous levés alors que nous étions des enfants d'une guerre qui avait épuisé les populations ? Comment avons-nous fait ? Quel héritage avons-nous fécondé ? Quels ressorts avons- nous sollicités ?» Tant de questionnements que Saïd Sadi pose non seulement aux militants, mais à l'ensemble de la classe politique nationale pour mieux comprendre les motivations et les aspirations de sa génération née au lendemain du combat libérateur. «Dans l'histoire tumultueuse du Mouvement national, nous avons récusé les visions manichéennes qui ont interdit les évolutions apaisées et adultes. Ces visions apologétiques excluant la raison et reniant les vérités qui ont donné naissance à des régimes qui sont finalement des prolongements autochtones de la praxis coloniale», éructe M. Sadi. Survolant les moments fondateurs du combat indépendantiste, la naissance en 1926, la rupture en 1949 face à «l'exubérante doxa arabo-islamiste», le déclenchement en 1954, le passage de la révolte à la Révolution en 1956, pour dire que ces moments étaient l'œuvre d'une minorité qui n'a pas cédé devant la fatalité de l'histoire. Pour lui, l'armée des frontières, le putsch de 1962 ou celui de 1956, dont personne ne se souvient, «figurent dans le registre funéraire des épisodes mortifères de notre pays». Si le désormais ex-militant du RCD a longuement évoquer le passé, c'est pour ne pas «pleurer sur notre sort, mais pour tamiser les luttes de nos aînés, en extraire les actes les plus nobles, les plus modernes et les plus rationnels afin de mieux ensemencer l'avenir», explique-t-il. Mais surtout pour faire jonction avec la phase actuelle sur laquelle pèse une incertitude totale. En s'adressant aux militant(e)s, M. Sadi interpelle : «Votre parti est une exception algérienne. Sa voix compte parce qu'elle perpétue cette tradition de rigueur et de vérité. Elle peut avoir raison encore plus dans l'avenir immédiat car, on peut le redouter, la nation peut être exposée à de graves périls…». Il donne l'alerte et accuse. «Ceux qui sont fascinés par 2019 sont les janissaires de l'histoire.» Avant de «quitter la scène», Saïd Sadi invite les militants et les acteurs politiques à «remettre les pendules à l'heure sur les propositions de tout un chacun dans cette séquence historique». Le RCD deviendra-t-il Les Progressistes ? Et pour ne pas trop perturber les travaux du congrès, il s'est vite éclipsé pour laisser les congressistes s'engager dans le vif des débats qui s'annonçaient chauds et houleux. Parce que d'abord la proposition de changer le nom du parti pour devenir Les Progressistes n'a pas fait l'unanimité. Elle divise les délégués. Difficile pour les militants de tourner la page RCD et se séparer d'un sigle qui les a marqués. Jusqu'à hier en début de soirée, la question n'avait toujours pas été tranchée. Le bureau du congrès a dû reporter la décision à ce matin pour se donner le temps de convaincre les congressistes de la nécessité de passer à une autre «époque». Et surtout pour se donner la possibilité de l'élection du président du parti qui est intervenue en soirée, hier. Quatre candidats s'affrontaient : Mohcine Belabbas, Fadila Messouci, Ilyas Lahouazi et Salah Belmekki. Une compétition qui donne le président sortant favori. La tendance lourde se dégage en sa faveur. Lui qui a su défendre son bilan devant les délégués à l'ouverture du congrès. Le député d'Alger, longtemps «parrainé» par Saïd Sadi, a pu s'imposer comme leader naturel de sa génération au sein du parti. Il est donc fort à parier – à moins d'un revirement de dernière minute – qu'à partir d'aujourd'hui, c'est sous la l'emblème Les Progressistes que les militant(e)s de ce courant vont mener les prochaines batailles politiques dans un environnement national hostile. Dans un contexte où l'exercice politique militant est soumis à rude épreuve tant le parasitage et la perversion les disputent outrageusement à l'éthique politique, aux clarifications idéologiques et programmatiques. Des batailles pour «offrir à notre peuple une alternative autour d'un projet de société progressiste et démocratique. Nous n'avons pas dévié de ce cap quelles que soient les difficultés. Et elles furent nombreuses et elles furent fréquentes et ardues (…)», a rappelé Mohcine Belabbas plus tôt, lors de l'ouverture du congrès. Déroulant une à une les thématiques emblématiques de son parti, M. Belabbas a réaffirmé l'attachement de son organisation à l'égalité des sexes et la nécessité d'abroger le code de la famille, à la place de la jeunesse, au caractère républicain de l'Etat, à la revendication identitaire culturelle, à la liberté de culte, à l'école citoyenne, aux droits de l'homme et, enfin, à la nécessité d'une intégration nord-africaine. Il a mis en évidence la lutte «sans relâche contre un ordre politique rétrograde qui a confisqué au peuple algérien sa victoire contre la France coloniale, contre un ordre politique inopérant, injuste et porteur de dangers pour la nation».