Y a-t-il ou n'y a-t-il pas de lutte contre le plagiat scientifique dans les établissements du supérieur ? Depuis quelques années, et plus précisément depuis 2016, le ministère de l'Enseignement supérieur s'est engagé dans une dynamique de lutte contre cette malhonnêteté intellectuelle. Promulgation de l'arrêté ministériel n°933 du 28 juillet 2016, fixant les règles relatives à la prévention et la lutte contre le plagiat ; ouverture d'une année universitaire sous le thème de la lutte contre ce fléau ; organisation des Doctoriale au niveau de certaines universités (Béjaïa, Biskra et Constantine) ; installation de logiciels antiplagiat dans quelques établissements du supérieur, sensibilisation des directeurs de thèses… le 6 mars 2017, le secrétaire général du ministère avait même défrayé la chronique en dénonçant, du haut de son statut, la complicité de «certains responsables, à divers niveaux hiérarchiques dans les établissements universitaires». Il donnait carrément les astuces utilisées par ces responsables indignes qui procèdent, selon le SG, «au remplacement de jurys ayant fait le constat de plagiat, en excluant les membres dont les rapports apportent des preuves de plagiat». Selon le directeur général de l'enseignement et de la formation au MESRS, Noureddine Ghouali, le ministère est dans l'impossibilité de prévenir et de contrôler à son niveau, toutes les tentatives ou actes de plagiat. «Il ne faut pas dramatiser la situation, le plagiat n'a pas atteint ce niveau de gravité tant dénoncé, même si je reconnais qu'un seul acte est un fait gravissime. Mais, il faut savoir que pour les doctorats de troisième cycle, nous avons plus de 4500 soutenances par année», argue-t-il en énumérant les opérations de sensibilisation et autres formalités instituées par le département de Tahar Hadjar afin d'éradiquer ce fléau. Mais dans cette dynamique de lutte, le DG des enseignements implique en priorité les responsables locaux, entre recteurs, membres des conseil scientifique et ceux du conseil d'éthique, mais surtout et particulièrement les directeurs de thèse qui doivent «accompagner, cadrer, piloter et contrôler les étudiants». «Il y a un grand travail à faire, surtout pour sensibiliser les universitaires qui parfois pèchent par ignorance. Les encadreurs doivent leurs apprendre ce qui peut être fait de ce qui ne doit pas être fait», préconise-t-il. Mais loin de ces directives et ces annonces, la réalité telle que rapportée par certains universitaires mérite toute l'attention nécessaire. Dossiers Des dizaines de dossiers structurés, détaillés, recoupés et confirmés de «monstruosités» scientifiques — au sens éthique — inondent régulièrement les boîtes mails de la rédaction d'El Watan étudiant. Depuis, plusieurs mois, un groupe d'enseignants ne cesse de dénoncer des actes de plagiat commis par des docteurs et des enseignants de différentes universités, aidés dans cela par la complicité «encourageante» de certains responsables de l'université de Tiaret. Après le décorticage d'un grand nombre de thèses et de publications scientifiques plagiées à des taux ahurissant, frisant dans certains cas les 100%, ce groupe d'enseignants écrit : «Le recteur et sa femme sont à plus de 10 articles plagiés. Nous avons interpellé les concernés et informés les autres enseignants. Selon une publication à notre disposition, ce clan n'a produit que des articles plagiés. Il est constitué d'enseignants appartenant à 6 universités différentes (Tiaret, Saïda, Mascara, Mostaganem, Chlef et Sétif). Ces noms sont en co-auteurs dans une même publication. Vous constaterez que le plagiat est régional et pas du tout marginal.» D'après ces dénonciateurs, plusieurs lettres ont été adressées à l'instance suprême de l'Enseignement supérieur, soit le ministère, sans résultat probant. L'affaire du docteur Ramdane Kheireddine, professeur à l'université des sciences et technologies d'Oran, est plus qu'édifiante. Dénonçant le plagiat d'un enseignant inscrit en thèse de doctorat sous sa propre supervision pendant dix ans, le professeur du département de génie civil craint aujourd'hui pour sa carrière. D'après ce dernier, en 2015, le plagiaire incriminé aurait «commis» un article scientifique largement copié d'une autre thèse de doctorat, dont le Dr Ramdane avait été l'examinateur en 2014. C'est dire, s'il contrôle le sujet. L'article plagié a été publié dans la revue scientifique JMES : Journal of material environnement science, une revue prédatrice, cataloguée par la direction générale de la recherche scientifique. Ayant suivi toutes les démarches nécessaires pour faire régner la loi et appliquer les sentences légales dans pareil cas, soit : information du vice-doyen chargé de la post-graduation en mars 2016, envoi de courrier avec preuves aux présidents des CSD et CSF, information de la rectrice de l'université, puis lettres adressées au ministère et même à la présidence de la République, aucune mesure n'a été prise pour mettre un bémol à cet acte de vol scientifique. «J'ai même appris que la semaine dernière, le conseil du département et celui scientifique ont débattu de l'affaire. L'enseignant incriminé pourra dans quelques temps soutenir quand même sa thèse», peste le Pr Ramdane, dénonçant des complicités de différents niveaux. Le professeur est d'autant plus aigri, qu'il estime qu'il y a eu dissimulation des faits. «J'ai rencontré le président du conseil d'éthique des universités, Berrached Nacereddine, par hasard. Je lui ai parlé du dossier qui devait être reçu par lui. Mais ce responsable m'a assuré qu'il n'a absolument rien reçu», dénonce-t-il en informant toutefois que le ministère aurait envoyé des inspecteurs : deux experts de Tlemcen et un autre de Boumerdès. S'agissant de ces inspecteurs, le professeur dénonce la partialité et la «connivence régionale» des deux premiers et assure que le rapport de l'inspecteur de Boumerdès qui aurait, selon lui, était très dur, aurait été «caché» ! «Avant, le ministère réagissait vraiment à ce genre de sollicitations. J'avais un contact presque régulier. Mais depuis près de trois ans et l'installation de certains nouveaux cadres, les choses ont empiré. Il y a de la complicité et de la complaisance au niveau même du ministère. Certains, que nous connaissons bien dans la région, ont carrément encouragé ce genre de pratiques», fulmine le professeur. Aujourd'hui, le Pr Ramdane Kheireddine dit avoir adressé des lettres au Premier ministère pour demander non plus de mettre un terme à ces agissements, mais pour être protégé dans sa carrière et son intégrité physique.