L'adage «Il n'est jamais trop tard pour bien faire» est bien ancien. On l'attribue au Grec Denys d'Halicarnasse, décédé en l'an 8, sous sa forme première figurant dans son Histoire de Rome : «Mieux vaut tarder que n'arriver jamais.» Une sagesse donc au moins antique mais qui garde toujours sa pertinence. Ainsi, telle une bouteille à la mer, un message envoyé à Arts & Lettres en 2016 est apparu à la faveur d'une mise à jour de notre boîte e-mail. Il émanait d'un lecteur de Laghouat, Khaled Taleb, qui nous écrivait après avoir été évoqué «anonymement» dans nos colonnes. Cela avait commencé le 15 octobre par un article de notre confrère du bureau d'Oran, Akram El Kebir, à propos d'un jeune de Sidi Bel Abbès, féru de lecture, qui avait monté un stand de livres d'occasion dans sa ville avant que des policiers ne l'en chassent puis, devant le scandale national, que le wali ne lui promette de régulariser sa situation. Ne voyant rien venir, il était parti à Oran ouvrir une petite bouquinerie, Le Livre de sable, en hommage au chef-d'œuvre de l'Argentin Jorge-Louis Borges. Située au 9, rue Max Marchand, ce lieu dédié aux passionnés de lecture ouvrait au moment-même où à Alger, un mois après le décès du doyen des bouquinistes algériens, Mouloud Mechkour, son petit-fils reprenait les Etoiles d'or, une des plus belles enseignes du livre au monde. Une semaine après, le bouquiniste, Salim Djouhri, nous écrivait pour nous raconter que, grâce à l'article, il avait reçu un homme venu du Sahara en bus. Celui-ci qui mettait ses pieds pour la première fois à Oran, lui avait acheté pour 10 000 DA de livres avant de repartir aussitôt. S'étant reconnu, ce mystérieux acheteur nous avait adressé un beau message que nous venons de retrouver avec d'autres, égarés dans les dédales du cyberespace. Il écrivait notamment : «Est-il besoin de vous dire à quel point je suis un passionné de livres, un rat de bibliothèque invétéré, un assidu insatiable de lecture(s) et un amoureux des librairies et bouquineries. Possédant ma propre bibliothèque en bois bourrée de livres bien rangés et pieusement agencés qui trône, modeste, dans ma toute aussi modeste chambre, toute ma vie spirituelle, mentale et intellectuelle est centrée sur elle, véritable mini-tour de Babel livresque qui me remplit de bonheur et me transporte de joie chaque fois que je m'en approche pour chercher un livre à lire ou un ouvrage à consulter.» Avec nos excuses pour le retard, nous adressons nos remerciements à ce sage laghouati, et à travers lui, un message chaleureux à Salim Djouhri en espérant qu'il tient le coup, ainsi qu'à tous les bouquinistes et libraires du pays. Et bien sûr, à leurs «patients», car on ne devrait pas nommer autrement tous ceux et celles qui pensent avec Ibn Arabi que «l'univers est un livre immense» et, avec Victor Hugo, que «le livre est quelqu'un». Oui, quoi de mieux en somme pour traverser ce monde que de disposer d'aussi bons compagnons ?