Par le canal de la Banque d'Algérie, le gouvernement tente une nouvelle initiative visant à donner une traçabilité aux 3000 milliards de dinars qui circulent dans la sphère informelle. L'initiative à laquelle une directive du gouverneur donnera très prochainement corps permettra, selon les propos même du patron de la Banque centrale, Mohamed Loukal, de lutter avec davantage d'efficacité contre le blanchiment d'argent, les dérives mafieuses et terroristes. Ce n'est évidemment pas la première fois que ce grave problème du commerce informel et de ses dangereuses répercussions sur l'économie du pays et, plus important encore, sur la sécurité du pays est évoqué avec à la clé des solutions qui ont malheureusement toutes échoué. L'échec qui sera, cette fois encore, sans doute recommencé est dû au fait que le gouvernement tout comme la Banque d'Algérie n'ont jamais osé s'attaquer frontalement aux véritables causes du marché informel qui gangrène aussi bien l'économie que la société algérienne en général. Les causes réelles sont pourtant largement connues, les plus déterminantes étant le régime obligatoire de l'autorisation administrative pour toute création d'entreprises, là où, une simple déclaration aurait suffi. Cette obligation administrative soumet les promoteurs au diktat des bureaucrates auquel ne peuvent surmonter que les plus téméraires d'entre eux. L'autre cause et non des moindres est la surimposition à la quelle sont soumises les entreprises légalement constituées. Les prélèvements obligatoires peuvent dans certains cas dépasser 45% de leurs chiffres d'affaires déclarés. Il y a aussi la jonction entre les milieux des affaires informels et les organisations d'obédience salafiste dont avait largement fait écho le président du Haut-Conseil islamique algérien, Bouabdellah Ghlamallah, dans une récente interview au journal El Watan, dans laquelle il déplorait le refus par de riches salafistes de bancariser des centaines de milliards de dinars qui circulent dans une totale opacité dans l'informel, leur recours fréquent au marché parallèle de la devise pour aider financièrement la mouvance islamiste internationale et, très probablement, certains groupes terroristes. Il y a enfin la modique rémunération (taux d'intérêts créditeurs) accordée par les banques aux épargnants. Avec des taux d'intérêt inférieurs aux taux d'inflation, il y a effectivement peu de chance que la bancarisation soit attractive. D'où la tendance présente à la thésaurisation.
Demi-mesures Pour toutes ces raisons objectives jamais solutionnées, le marché informel et toutes les dérives y afférentes ont toutes les chances de perdurer encore longtemps. Les mêmes causes ont en effet tendance à produire les mêmes effets. Le secteur commercial qui s'est peu modernisé depuis l'ouverture économique aurait même tendance à suivre la voie de l'informel qui offre l'avantage d'éviter les procédures fastidieuses de l'immatriculation, d'échapper au fisc et aux nombreuses autres contraintes imposées aux entreprises déclarées. De ce fait, l'économie informelle qui a déjà pris une ampleur alarmante ne cesse de se développer au point de gangrener l'ensemble de la société algérienne progressivement atteinte par la mentalité du gain facile, la tendance à transgresser la loi et à échapper aux obligations citoyennes. La taille réduite de nos infrastructures commerciales, l'insuffisance et l'exigüité des marchés communaux réglementés ont, à l'évidence, beaucoup contribué à la prolifération de marchés informels qui s'installent sans état d'âme là où il y a un vide commercial à combler. Pour peu qu'il y ait un bon potentiel de clients à l'endroit où ils ont décidé de s'installer, les acteurs de l'informel, de plus en plus nombreux et audacieux, finissent toujours par mettre les autorités concernées devant le fait accompli, en créant de nouvelles zones de commerce informel ou procédant à l'extension, souvent anarchique, des marchés communaux lorsqu'ils s'avèrent trop exigus. Occupés à amasser de l'argent et à tisser des relations commerciales qui débordent souvent sur les terrains politique et relationnel (solidarité entre commercants d'obédiance islamiste), les préoccupations monétaires de la Banque d'Algérie sont vraiment leur dernier souci. Ils savent par ailleurs que l'Etat, tout comme l'Autorité monétaire sont totalement désarmés face à la situation objective présente. Le secteur informel emploie en effet un peu plus de 2 millions de personnes, fournissant ainsi environ 15% des revenus des ménages. Refermer cette soupape de sécurité sans avoir à offrir aux milliers de chômeurs une solution de rechange serait suicidaire pour le gouvernement. D'où son hésitation à s'y attaquer résolument en privilégiant les demi-mesures du genre de celles que s'apprête à prendre la Banque d'Algérie.