Le documentaire Fernand Pouillon – Alger 1953-1957 de Marie-Claire Rubinstein, projeté mardi dernier au Palais des Raïs, passe en revue les œuvres majeures de l'architecte français en Algérie. On y retrouve ses plus grands projets algérois, à savoir les cités Diar Es-Sâada et Diar El-Mahçoul, ainsi que l'immense Climat de France. Au total, il a conçu et souvent construit plus de 300 projets lors de ses longs séjours en Algérie (1953-1984) ; une kyrielle d'hôtels et de complexes touristiques, à Zéralda et Staouéli comme à Tipasa ou Annaba, ainsi que des villas et des habitats collectifs. Né en 1912, Fernand Pouillon cultive dès son jeune âge la passion d'ériger. Il construit son premier immeuble à l'âge de 22 ans, avant même de décrocher son diplôme de l'Ecole des beaux-arts de Marseille. Il ne l'obtiendra d'ailleurs que 8 ans plus tard ! Après sa participation à la reconstruction du Vieux-Port, Pouillon débarque à Alger en 1953 sur invitation du maire Jacques Chevallier. Tandis que ça grondait dans les bidonvilles, les autorités coloniales désespéraient de régler la crise du logement. Il s'agissait de «rapprocher les deux communautés et d'effacer les séparations qui y existaient», selon l'historien Benjamin Stora interrogé par la réalisatrice. Pouillon fait ses preuves avec la cité Diar Es Sâada sur les hauteurs d'Alger. Plus de 700 logements ainsi qu'une école en seulement une année. 400 moutons seront embrochés pour l'inauguration ! A peine avait-il achevé la «cité du bonheur» qu'il s'attela à celle de Diar El Mahçoul, à quelques centaines de mètres de là, comprenant 900 logements et une église. Après l'indépendance, cette dernière sera surmontée d'un somptueux minaret décoré par Mohamed Boumehdi et transformée en mosquée par Pouillon lui-même. En 1954, il entame son œuvre-phare, la cité Climat de France. Celle-ci soulève aussi les plus grandes difficultés. L'assiette est située sur une pente raide avec risque de glissement de terrain. S'ajoute à cela le déclenchement de la guerre de libération. Cette situation complexe ne l'empêcha pas de réaliser la cité aux grosses colonnes achevée en 1957. «Je veux offrir un monument aux plus démunis», disait-il à propos de cette cité peuplée uniquement d'Algériens. En 1961, Pouillon est arrêté en France pour une sombre histoire de détournement de fonds. Hospitalisé, un an après, il s'évade de la clinique, aidé par le réseau Jeanson. Après des mois de cavale, il se rend à la justice en 1963. Hospitalisé derechef, il est acquitté en 1964. A l'invitation du président Boumediène, il revient à Alger en 1966. Il y exercera jusqu'à 1984, deux ans avant sa mort. Il travaillera surtout sur des projets touristiques. Une quarantaine d'hôtels et de complexes touristiques sont bâtis en des périodes brèves. On peut citer El Marsa de Sidi Fredj, l'hôtel El Mountazah à Annaba, le complexe des Andalouses à Oran ou encore l'hôtel Gourara de Timimoun. «C'était un metteur en scène», raconte un témoin dans ledit documentaire. «Il avait un compas dans l'œil», juge un autre. Mais l'autoproclamé «Roi des proportions» était aussi un hédoniste. «Il donnait du plaisir aux gens» dans la tradition de l'art de vivre méditerranéen. Ses placettes sont, par exemple, emblématiques. Citons celle «des chevaux» de Diar El-Mahçoul dont les sculptures sont aujourd'hui en face du Palais des Raïs à l'entrée de Bab El Oued. Fin esthète, Pouillon était aussi un redoutable businessman. Il cassait les prix et réduisait drastiquement les délais de réalisation. De plus, il fut le premier à instaurer le prix au mètre carré. Porteur d'idées progressistes, il aspirait à une architecture multiculturelle et accessible. On y distingue clairement des influences mauresques comme la «maison à cour» qu'on retrouve à Diar El Mahçoul. Algérien d'adoption, Pouillon a même bâti en 1970 l'ambassade algérienne à Washington.