Nous ne retenions de toi que ton allure voûtée, ton béret, tes vêtements sobres, et nous avons oublié de regarder ce qu'il y avait au plus profond de ton cœur, une sensibilité à fleur de peau qui te faisait si facilement rougir et une grandeur d'âme qui, à force d'être exigeante, te rendait solitaire. Pardon si, comme des écoliers boutonneux, nous rigolions de ta façon de vivre. On te disait très peu dépensier, alors que tu faisais peu cas de l'argent, comme de la nourriture que tu réduisais au minimum vital. Tu voulais vivre dans la plus grande simplicité, et cela on ne l'a pas compris. Ce n'est pas un hasard si tu as rendu l'âme dans un centre de santé de la banlieue d'Alger et non pas dans une clinique parisienne. Pardon si on n'a pas saisi la profondeur de ta culture puisée dans une enfance à La Casbah. Tu connaissais tout de la musique chaâbie que tu adorais partager avec ton voisin de bureau Abderrazak Merad, lui-même membre d'un orchestre. Tu étais Didou, Momo de Bahdjati, et cela suffisait à remplir ta vie. Pardon si on te traitait de ringard professionnel. On a oublié que tu es un des derniers survivants du journalisme engagé, de la solidarité sans faille avec les Palestiniens, les Sahraouis et tous les peuples qui luttent contre l'oppression coloniale. Tu as ramené cette culture du journal El Moudjahid où tu as fait tes premières armes, et c'est très bien en ces moments d'oubli, de renoncements et de trahisons. A El Watan, tu étais ce qu'on appelle un tâcheron, mais pour toi c'était le souci de la rigueur, cette vertu qui s'est bien raréfiée dans la presse nationale. Tu aimais mettre en valeur les positions extérieures de notre pays quand elles allaient dans la tradition de l'Algérie «Mecque des révolutionnaires», et tu avais le souci d'entretenir des relations avec les diplomates du ministère des Affaires étrangères. Mais si tu avais jeté un coup d'œil de ta tombe, tu n'en aurais vu aucun à ton enterrement. Pardonne-leur, mais ne pardonne pas à ceux qui t'ont privé de la joie d'occuper enfin un vrai bureau de travail dans le nouveau siège du journal El Watan, séquestré depuis deux ans par les autorités administratives. Tu as travaillé vingt-cinq ans pour contribuer à son financement. Pour rien. Mais laissons cela à Dieu qui par ailleurs t'a gratifié d'une famille aimante et d'un bon groupe d'amis, à leur tête Omar Berbiche avec lequel tu as tissé une relation privilégiée. Pardon Larbi pour n'avoir pas saisi l'ampleur de la maladie qui te rongeait et qui a fini par t'emporter. Tu ne te confiais pas beaucoup. C'était toi… Que la terre posée sur toi te soit légère.