Fait aussi curieux qu'inquiétant, à une année de la présidentielle, la classe politique ne donne pas l'impression d'être emballée par ce rendez-vous décisif pour la nation. Une présidentielle mystérieuse. Chargée d'énigmes. Une situation politique drôlement anormale. A seulement une année de sa tenue, l'élection présidentielle d'avril 2019 présente toutes les caractéristiques faisant d'elle une épreuve aussi délicate qu'embarrassante. Pour le pouvoir en place, tout comme pour l'opposition et ses probables prétendants. Il y a comme un malaise qui domine la classe politique, pour le moins hésitante. Un étrange paradoxe. En lieu et place d'une dynamique qu'elle devrait susciter, c'est la passivité qu'elle a provoquée. Sinon comment expliquer son «refus» de s'engager pleinement dans le débat présidentiel et de créer, voire d'imposer les conditions nécessaires pour l'organisation du scrutin à la hauteur des défis auxquels fait face le pays et par-dessus tout démocratiques. Excepté quelques «polémiques» à la marge ayant pour but de créer de la diversion, la vie politique est plombée. Une glaciation. Conséquence directe d'un 4e mandat présidentiel quasi nul, mais qui finit par achever les dernières possibilités de mobilisation politique. La reconduction de Abdelaziz Bouteflika en 2014 dans des conditions très controversées était un ultime acte dans la «pacification». Un coup de grâce. Depuis, la classe politique — le pays avec — peine à se relever. Elle n'a fait que différer la solution à la crise. Le jeu politique se déroule dans le pervers huis clos du sérail prenant en otage les élites politiques et économiques. Le sort de tout un pays est suspendu à une phrase qui pourrait débloquer ou aggraver la situation. Bouteflika briguera-t-il un 5e mandat ou non ? Le mystère est total, même si les conditions dans lesquelles évoluent le pays et son environnement immédiat imposeraient une sortie par le haut. Un autre mandat présidentiel pour l'actuel locataire d'El Mouradia ne saurait constituer une réponse pouvant permettre à l'Algérie de sortir de l'impasse. Il apparaît de plus en plus que les différents détenteurs du pouvoir n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la marche à suivre, encore moins sur celui qui va l'incarner. Le seul consensus est de ne rien engager et jouer sur le temps. Un temps pourtant qui presse. Mais par calcul tactique de pouvoir, annoncer que le chef de l'Etat ne rempile pas c'est courir le «risque» de voir tous les séides quitter le navire, tant le «soutien inconditionnel» voué au Président relève plus du «clientélisme que de la conviction», comme l'assure un analyste du régime. Le bruit de retournement de veste(s) se fera fortement entendre. Un classique des mœurs politiques en vigueur au sein du système de pouvoir. Les Bouteflika ne le savent que trop bien. Pour l'heure, aucune tête ne dépasse au risque d'être coupée. D'évidence, cette situation pèse lourdement sur les protagonistes du pouvoir soumis à une pression sociale sans précédent et menacé par une crise économique aux conséquences incertaines. Ils se sont pris dans leur propre piège. Non seulement par manque de volonté politique, mais aussi par méfiance interne, et incapacité à mettre en place les instruments de négociation. «Ils ne veulent pas par conservatisme et ils ne peuvent pas par peur d'un changement incontrôlé», commente un ancien transfuge du régime. L'improvisation avec laquelle sont gérées les affaires publiques est la preuve matérielle de l'immobilisme qui frappe les institutions. Les candidatures Ce qui fait dire à Saïd Sadi que «l'Algérie ne vit pas une crise politique» mais «s'abîme dans une impasse historique». Un cinglant jugement qui va non sans interpeller l'opposition dans son ensemble et sa responsabilité historique à briser ce mur de Berlin politique algérien. Ses principaux acteurs eux aussi fondent leurs analyses en initiatives sur l'état de l'évolution des rapports de force et des intentions au sein du sérail. D'où l'expectative observée par nombre de potentiels prétendants. Hésitants et méfiants. Echaudés par les malheureuses expériences passées, les Hamrouche, Benflis, Benbitour, Hanoune, Ghozali et bien d'autres personnalités d'envergure observent, scrutent et sondent sans se lancer dans la bataille au risque de se faire «carboniser» avant l'heure. Ils sont dans une «opération de séduction et de négociation à distance avec des cercles du pouvoir, multipliant les messages chiffrés», mais sans grande capacité à peser sur les choix à opérer. Certains d'entre eux ayant longtemps côtoyé le régime savent que rien ne peut être entrepris sans un «signal fort venant d'en haut». Mais jusqu'à quand ? «Une année c'est peu, mais c'est beaucoup aussi. Tout peut se passer d'ici la fin de l'année, mais le pays ne peut plus tenir», considère un ancien candidat à la présidentielle. Eclatée et déchirée en raison d'une guerre post-multipartisme, l'opposition dans ses différents courants a eu toutes les peines du monde à forger une alliance en vue d'engager un dialogue en position de force avec le pouvoir autour de la transition démocratique. Le bloc de Mazafran né en 2014 n'a pas tenu longtemps. Il a explosé en plein vol. L'opposition politique s'est fragilisée davantage. Il est difficile en l'état actuel des choses qu'une ou des candidatures de ce camp puissent incarner un mouvement de changement. De toute manière, le pouvoir qui demeure seul maître du jeu ne saurait tolérer une telle option. Elle serait vigoureusement combattue. Mais, en fragilisant l'opposition, le pouvoir s'affaiblit. Il ne vaut que par la puissance de son opposition. C'est là où réside l'impasse. «L'échec national, les tensions régionales et les défis de la mondialisation imposent la rénovation», préconise l'ancien chef du RCD, non sans tenir compte de la difficulté de la tâche. «Le chemin n'est pas simple. Les obstructions du pouvoir et les tergiversations d'opposants qui peinent à s'extraire du clientélisme font synergie pour entretenir la paralysie. Le débat sur la procédure est ouvert, c'est la substance même des échanges à venir. Il est cependant possible de cocher les erreurs et fautes du passé. Dans cette période où l'histoire algérienne vacille, cela est déjà important», espère-t-il. L'élection présidentielle de 2019 devrait constituer le point de départ pour ouvrir au pays la voie du développement politique. D'où l'urgence d'entrer dans le vif du sujet présidentiel.