L'économie peut-elle être une ligne de fracture de l'opposition algérienne dans sa quête de barrer la route à un cinquième mandat de Abdelaziz Bouteflika ou son équivalent ? En dehors du Parti des travailleurs (PT) qui ne fait en réalité pas partie de l'opposition, un consensus mou existe au sein de l'opposition dite de Zéralda en faveur de l'économie sociale de marché comme recours pour développer le pays. Vaste enseigne qui laisse en pointillé d'innombrables questions à forte «charge clivante». Ce thème d'un consensus plus fort, et donc plus précis, sur le programme économique au sein de l'opposition peut devenir problématique dans les prochaines semaines. Sofiane Djillali a lancé un appel public, ce samedi à l'occasion du 7e anniversaire de son parti, Jil Jadid, en faveur de la confection collective d'un programme de transition pour remettre en ordre les institutions algériennes après 20 années d'appropriation bouteflikienne. Le risque existe que l'accord soit plus facile à obtenir entre les partis de l'opposition de Zéralda, sur le contenu politique du programme de transition que sur son volet économique. En effet, l'idée circule que le prochain président de la République, s'il devait être l'émanation de l'opposition unifiée, aura la charge essentielle de reconstruire les institutions en les ramenant dans le fonctionnement constitutionnel. Il aura à redistribuer du pouvoir à l'Assemblée nationale, rendre le gouvernement responsable devant elle, donner de l'indépendance au juge, sanctuariser le processus électoral de l'influence de l'administration. Mais que peuvent proposer ensemble les partis politiques au sujet des réformes économiques face au contre-choc pétrolier persistant ? La diversification des exportations bien sûr. Cela suppose une autre économie, une autre affectation des ressources budgétaires, une autre relation avec les acteurs de marché, un reflux de l'Etat-patron et une progression de l'Etat-régulateur, une autre relation à l'économie mondiale, au capital étranger venant en Algérie. En fait, le projet économique pourrait bien être le cœur des divergences dans les prochains mois si l'opposition réussissait le pari de se mettre autour d'une même table pour produire le programme unitaire de la transition pour tourner la page des années Bouteflika. Il faut espérer que cela soit le cas. Ce sera un vrai signe de modernité politique. Sans souhaiter dans le même temps que les divergences sur l'agenda économique ne provoquent l'éclatement d'une démarche unitaire comme l'a été l'échéance des élections législatives de mai 2017. Le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale a lancé une opération «assainissement» des syndicats indépendants. Un formulaire est affiché sur le site du ministère que les organisations syndicales sont tenues de renseigner, sous délai, afin que la tutelle puisse vérifier si elles répondent aux «critères légaux» de représentativité. Une opération perçue par les syndicalistes indépendants comme une menace sur les libertés syndicales. A l'évidence, c'en est une. Le gouvernement a déjà choisi de mettre au ban de la légalité tous les préavis de grève. En enrôlant les juges pour cela. La justice déclare désormais systématiquement illégale tout préavis de grève. Comme si ce droit n'était plus garanti par la Constitution. Nouria Benghabrit, ministre de l'Education nationale, a même, dans une candide maladresse, formalisé le procédé dans le discours : «La grève du Cnapeste a été déclarée illégale non pas par mon ministère mais par le ministère de la Justice» et non pas par la justice (les juges indépendants). Expression tellement vraie. Le gouvernement ne dispose pas de la profondeur de réflexion politique qui lui permettrait de traiter le mouvement social autrement que par la répression. Policière et choquante dans le cas des médecins résidents. Pernicieuse et procédurière dans celui des enseignants du Cnapeste. Il y a pourtant un continuum sociologique aux mouvements sociaux de ces derniers mois. Ils interpellent dans leur majorité l'Etat-employeur. Les grèves dans le secteur public industriel restent marginales (exemple BCR à Sétif) et le secteur privé, principal employeur dans le pays, est hors champ. La revendication récurrente dans le mouvement du Cnapeste de ces deux derniers mois était l'application du contenu des PV issus des négociations avec le ministère en 2015 et en 2016. Le gouvernement n'a aucun mécanisme légal pour transplanter dans les textes régissant la Fonction publique le résultat des accords sociaux issus des négociations (le plus souvent consécutives à une grève). C'est l'ancien dirigeant syndical et spécialiste des questions sociales, Nouredine Bouderba, qui a pointé cette semaine cette grande panne algérienne dans la modernisation sociale. Son dégât collatéral récurrent est désormais bien connu. Les ministres des grands corps de la Fonction publique se retrouvent à chaque fois dans l'incapacité de donner une suite concrète aux résultats des négociations avec les syndicats indépendants de leur secteur. Nouredine Bouderba explique qu'il existe un instrument de modernisation des relations sociales introduit dans les législations des pays avancés qui permet de donner un statut légal transitoire aux résultats des négociations sociales qui concernent la Fonction publique. Ces résultats sont reconnus dans leurs effets mais ne sont pas sources de loi. Ils sont introduits dans l'aménagement suivant du statut de la Fonction publique par la loi. Mais, entre-temps, la négociation permet de répondre à la problématique d'un secteur sans attendre que l'ensemble du statut de la Fonction publique soit revu pour cela. Cet accommodement requiert une ingénierie juridico-politique de l'Exécutif. Le gouvernement algérien ne sait pas ou ne veux pas le faire. Si le résultat est le même en termes d'impact d'heures de travail perdus par l'économie à cause de la faiblesse de la prévention des conflits, la réponse, elle, n'est pas sans incidence. Car si l'absence d'une volonté politique de moderniser le dialogue social équivaut à une option autoritaire archaïque, l'inverse signifie que le gouvernement veut mais ne sait pas. Et alors, il gagnerait à se faire aider. Le ministère du Travail serait d'ailleurs bien inspiré de regarder ce qui manque dans son arsenal réglementaire avant de vouloir s'attaquer à la représentativité des syndicats. Dans le secteur industriel, la présence de deux élus dans un comité de participation d'entreprise permet à un syndicat d'être reconnu indépendamment du nombre de ses adhérents dans l'entreprise. Il existe une disposition légale qui permet au même mécanisme de fonctionner dans la Fonction publique avec les instances paritaires. Cela fait 12 années que le gouvernement n'a toujours pas traduit cette disposition dans les faits. Elle signifierait aujourd'hui que le questionnaire du ministère du Travail est illégal.