En 2011, le 1er-Mai a rompu avec le rituel de mobilisation syndicale des années prodigues. Désormais, les syndicats sont pluriels et l'historique UGTA (Union des travailleurs algériens) est loin de mobiliser comme naguère. Ces nouvelles entités syndicales sont plus pragmatiques. Le politique est obligé de composer avec elles. En effet, le pluralisme syndical est une réalité à intégrer dans la vie sociale et politique. Dans ce contexte politique houleux, les syndicats entendent cultiver leur jardin social. Selon les avis des leaders syndicaux rapportés par l'APS, la négociation collective est devenue désormais le fer de lance de l'action syndicale. Depuis le début du millénaire, les travailleurs ont conclu que pour négocier, ils avaient besoin d'organisations libres, fortes, démocratiques et indépendantes. Aujourd'hui, le pluralisme syndical est devenu une réalité en Algérie et les pouvoirs publics qui semblent encore simplement «tolérer» les syndicats autonomes, gagneraient à les accepter et à les impliquer dans toutes les négociations relatives au monde du travail, estiment nombre de syndicalistes. Interrogés par l'APS à la veille du 1er mai, fête internationale du Travail, des dirigeants de syndicats autonomes se sont comme entendus pour dire que même si le pluralisme syndical est consacré par la loi, il n'est pas encore tout à fait ancré dans la culture de la pratique syndicale. Ils pensent, dans l'ensemble, qu'il existe un décalage entre la réglementation en vigueur et l'état d'esprit ambiant concernant l'approche de partenariat social, allant jusqu'à évoquer «une certaine résistance» à ce pluralisme, acquis constitutionnel datant de 1989. Aperçu historique Au nombre de 88, les syndicats autonomes en Algérie sont nés après l'amendement de la Constitution en 1989 et les lois promulguées en 1990: la loi 90-14 portant modalités du libre exercice du droit syndical, et la loi 90-02 relative à la prévention et au règlement des conflits collectifs de travail et à l'exercice du droit de grève. Après 30 ans d'unicité syndicale, sous la bannière de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), des syndicats autonomes ont vu le jour au sein de la corporation des fonctionnaires de l'administration, des enseignants, médecins, pilotes, officiers de la marine marchande, techniciens de la maintenance aérienne, contrôleurs de la navigation aérienne, comptables, inspecteurs de travail, inspecteurs des impôts, contrôleurs des prix et bien d'autres. Ces syndicats autonomes prennent de plus en plus de place dans l'espace social, comme en témoignent les mouvements sociaux nés dans la fonction publique, notamment dans les secteurs de la santé, de l'éducation et de l'enseignement supérieur. Les mouvements de grève lancés par les syndicats autonomes avaient atteint leur apogée en 2003-2004, pour des revendications salariales notamment. Pourtant, les syndicats autonomes se plaignent aujourd'hui de «manque de considération de la part du pouvoir», à l'exemple de leur non implication dans les négociations au sein de la bipartite (Gouvernement-syndicat) ni au sein de la tripartite (gouvernement-syndicat-patronat). Ils estiment qu'au plan du partenariat social et du dialogue social, les autorités publiques «ne reconnaissent, dans les faits, aucun de ces syndicats comme partenaire social» et que l'unique partenaire reconnu reste l'UGTA, «même quand cette organisation n'a plus de représentativité dans certains secteurs de la Fonction publique et du secteur public économique», pensent-ils. Le politique ne doit PAS éternellement mésuser le syndical Cette situation est un «indicateur sur le manque de volonté de hisser le multi-syndicalisme au rang de segment de la société civile à part entière», estiment encore des syndicalistes. M. Lyes Merabet, du Syndicat des praticiens de santé publique (SNPSP), pense que le pluralisme syndical est «un fait avéré, et est devenu un exercice au quotidien depuis l'an 2000, mais les syndicats autonomes se trouvent relégués au second plan puisque les pouvoirs publics refusent de voir en eux des partenaires». Pour lui, pourtant, les syndicats autonomes «se sont imposés et ont démontré leur capacité de mobilisation, leur efficacité et leur représentativité, notamment, dans la fonction publique et dans l'administration en général». «La poursuite des grèves dans le secteur de la santé a montré que la paix sociale dans le secteur de la Fonction publique ne peut être négociée qu'avec les syndicats autonomes représentatifs», a-t-il encore dit. «Nous sommes acceptés dans la forme et exclus dans le fond», a-t-il précisé, ajoutant que les syndicats autonomes «apporteraient plus de crédibilité» à la tripartite puisqu'ils sont «représentatifs au-delà de ce que prévoit la loi». Se débarrasser des mystifications La loi 90-14, dans son article 35, considère représentatives les organisations syndicales de travailleurs, regroupant au moins 20% de l'effectif total des salariés ou au moins 20% au sein du comité de participation, si celui-ci existe dans l'organisme employeur. Ce syndicaliste a également énuméré les «entraves», les «surenchères» et même les «intimidations», qui rendent difficile l'activité des syndicats autonomes lesquels, pour la plupart, «ne bénéficient même pas de la subvention consacrée par la réglementation en vigueur», a-t-il affirmé. A ce sujet, le représentant du syndicat national autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (SNAPEST), Meziane Meriane, cite l'exemple des retenues sur salaire, en 2009 et en 2010, «à l'encontre de plus de 15.000 grévistes du secteur». Ce syndicaliste a également relevé «le recours des pouvoirs publics, à chaque préavis de grève, à la justice, pour déclarer sa non légitimité, profitant du déficit législatif à cet égard». Abdelmalik Rahmani, du Conseil national de l'enseignement supérieur (CNES), préconise, pour sa part, la nécessité d'amorcer une période de transition en commençant par «revoir de fond en comble la stratégie de la pratique syndicale». Pour lui, le syndicalisme est «en crise» et «la phase d'apprentissage n'a pas été une réussite», mais il ne renie pas les «lacunes» existant au sein des syndicats eux-mêmes. «Il ne suffit pas de créer un syndicat pour faire du syndicalisme», a-t-il admis tout en soulignant le grand besoin en formation des syndicalistes en général. M. Rahmani a aussi regretté le fait que «beaucoup de syndicats font de la politique», permettant ainsi à «des forces politiques d'interférer dans le champ syndical», affirmant qu'il «faut reconstruire toute une tradition syndicale et revoir les bases de l'activité syndicale». Pour lui, la responsabilité des pouvoirs publics se situe dans les lois qu'ils ont mises en place «sans associer les syndicats autonomes» et qui «définissent mal l'activité syndicale», à son avis. De son côté, le secrétaire général du Syndicat national autonome du personnel de l'administration publique (SNAPAP), Belkacem Felfoul, a fait remarquer que dans les situations de conflits de travail, les ministères de tutelle des secteurs concernés négocient, depuis 2000, avec les Unions locales et jamais avec le syndicat national qui semble n'exister, a-t-il dit, que sur le papier. Pour un nouveau code du travail Le président du Syndicat des praticiens spécialistes de santé publique (SNPSSP), Mohamed Yousfi, relève, lui, un «paradoxe» entre la reconnaissance du pluralisme syndical au plan légal et «les entraves à l'activité syndicale, qui est la négation du pluralisme». Tous ces syndicalistes demandent, par ailleurs, à ce que leurs organisations soient associées à la préparation du nouveau code du travail, et souhaitent que la future législation du travail «ouvre vraiment la voie au multi-syndicalisme» et définisse «clairement et amplement» l'activité syndicale et la place «au service du travailleur et du fonctionnaire».