Récemment, j'ai mis de l'ordre dans ma bibliothèque si envahissante qu'elle me fait parfois penser que le sort d'El Jahiz, enseveli sous ses livres, n'était pas une légende. Mais à son époque, on n'avait pas encore inventé le carton, cette merveille qui fait gagner de la place jusqu'à ce qu'elle en prenne trop ! Au-delà de leurs contenus, les livres peuvent abriter des documents qui s'y sont glissés un jour, souvent en guise de marque-page. Etonnante récolte où figurent par exemple des bouts de papier portant des rendez-vous en des lieux connus avec des personnes oubliées ou encore un authentique ticket à trois sections de la Régie syndicale des transports algérois. Mais la trouvaille a été ce bristol au format de carte postale. En fait, le support d'un sondage des défuntes éditions Laphomic qui était placé dans ses ouvrages. Deux questions à choix multiple. On y demande si le livre acheté a été recommandé par un ami, le libraire, la presse, la publicité, la radio, etc. Puis quelle sorte d'ouvrages l'on veut lire, la question étant suivie d'une liste de genres et domaines à cocher : littérature contemporaine ou classique, histoire, religion, philosophie, sciences humaines, arts, politique, cinéma, gastronomie, sport, architecture… On y signale une remise de 10% pour tout achat de trois livres ou plus. Enfin, il est demandé si l'on veut qu'en plus de celui que l'on recevra, l'on envoie le catalogue à d'autres personnes. Au verso, l'adresse pré-imprimée des éditions pour envoi par la Poste ou remise au libraire. Du bon marketing éditorial en somme. Au milieu des années 1980, Ahmed Bouneb avait lancé Laphomic près des fameux escaliers en zigzag du film Tahia ya Didou et face à la muraille de l'ancien siège du Parti unique, ce qui était plus qu'une coïncidence tant la maison s'est avérée par la suite une des plus belles aventures culturelles du pays. Après trois décennies de monopole étatique, elle symbolisait, avec les éditions Bouchene et Dahlab, l'immense besoin de respiration de la société, notamment dans l'enthousiasme post-88, hélas vite avorté. Laphomic a été un pionnier de l'édition privée algérienne laquelle s'est bien étendue depuis mais, dans la plupart des cas, sans entretenir de rapport avec le lectorat et parfois pire, du mépris. Ce bristol était la marque d'une attention aujourd'hui largement perdue. Il comportait en outre les derniers titres Laphomic (avec des prix aujourd'hui inimaginables), dont L'Amour au temps du choléra de Garcia Marquez (90 DA), Le Fleuve détourné de Rachid Mimouni (58 DA), Une ardente patience de Sharmeka (55 DA) ou Entretien avec Mouloud Mammeri de Tahar Djaout (34 DA). En attendant l'hommage que nous comptons rendre à cette maison d'édition, les mimosas jaunissent et les oranges, ces succulents petits soleils de l'hiver, se retirent avec lui. Profitez de leur pulpe et ne snobez pas l'édition du printemps en dépit du reste.