Le secteur privé algérien, c'est une affaire de famille. Y aurait-il donc une espèce de livret de famille pour le capitalisme algérien ? Où la propriété appartient au père de famille, aux enfants, au cousins et, enfin,... à la famille. La conclusion est lapidaire mais ce profil familial qui colle tant au statut des entreprises privées algériennes n'est pas moins dans le cas de nourrir toutes sortes de commentaires sur leur devenir. Le sujet enfle à la faveur de l'intervention plusieurs fois publique d'un des fervents critiques de la situation actuelle du privé national, en l'occurrence Abdelatif Benachenhou, professeur d'économie et ex-ministre des Finances. Aussi le ministre des Participations et de la Promotion des investissements a-t-il lui même porté l'estocade à l'égard de ce même secteur. D'abord, pour dire toute la faiblesse qui le caractérise (avec un taux de croissance de 1,4% en 2005). Ensuite, pour souligner son absence de " l'industrie noble ". La vitalité des entrepreneurs privés semble en tous cas intéresser chaque jour un peu plus les autorités du pays. Des observateurs de la scène économique prêtent au gouvernement l'intention de s'occuper de ce secteur. Des réaménagements en vue ? Il y a quelques mois, Abdelhamid Temmar a considéré, au grand dam des chefs d'entreprises, que le privé a " fait le plein ". Mais, en définitive, qu'a-t-on à reprocher, particulièrement en ce moment, au privé algérien ? Que ce dernier a déjà un pied trop embourbé dans l'informel, que son activité soit circonscrite dans l'agroalimentaire et autres secteurs peu industriels ou carrément que le statut de ces entreprises soient de caractère familial ? La question mérite en effet d'être approfondie tant il s'agit d'un secteur duquel on laissera dépendre dans un proche avenir le destin de notre économie au fur et à mesure que le passage à l'économie du marché s'achève. Le temps est ainsi venu pour ouvrir le débat sur un secteur censé constituer l'alternative au système économie algérien arc-bouté sur les moyens publics de production et le moteur de création de richesses hors-hydrocarbures. C'est dire donc que ce semblant de procès que l'on veut bien intenter à la structure formatrice ( familial ou parfois même tribal ) du secteur privé aujourd'hui trahit une arrière-pensée qui en dit long. Souligner le caractère familial de l'entreprise privée comme étant à l'origine de son sous-développement participe ainsi d'une volonté de lui faire le reproche de n'être pas à la hauteur des exigences du rôle que l'Etat va devoir lui léguer. Et poser le problème du statut familial de la majorité des entreprises privées algériennes, c'est carrément évoquer l'inquiétude autour d'un capitalisme algérien en formation. Pourquoi ? Une des explications s'il en est de la topologie de ce secteur est à trouver dans les derniers chiffres communiqués par le Centre national du registre du commerce (CNRC) dans son rapport annuel 2005. Il faut savoir que l'activité économique et commerciale en Algérie s'effectue suivant différents statuts juridiques des entreprises. Le CNRC a recensé que les SARL (société à responsabilité limitée) dominent le paysage des entreprises à hauteur de 50% suivies des EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) avec 31% du total. Le reste (19%) est ainsi partagé par les autres formes juridiques dont la SPA (Société par actions). Ces statistiques sont d'une importance certaine du fait qu'elles décrivent suffisamment bien le visage de notre appareil de production hors secteur pétrolier. Ainsi donc, hormis le secteur public qui, lui, est éligible à la privatisation, le privé reste, finalement, le secteur qui se caractérise par une structure juridique un peu dépassée. Richesse personnelle Des observateurs considèrent que la prédominance des formes SARL et EURL n'est plus adaptée à l'ampleur des activités réalisées. A titre illustratif, le Forum des chefs d'entreprises (FCE) pèse 450 milliards de dinars de chiffres d'affaires, compte 80 adhérents pour 200 entreprises (publiques et privées) et employant 94 000 travailleurs, selon les informations communiquées par le président de cette association, Omar Ramdane, lors d'une bipartite avec le gouvernement Ouyahia en janvier 2005. Le FCE, selon Ouyahia, offre une représentativité de " 15% du chiffre d'affaires national hors hydrocarbures et de quelque 50% (secteur public compris) du chiffres d'affaires de l'économie hors hydrocarbures ". Mais dans le privé uniquement, le tissu des PME, selon les chiffres du département de Mustapha Benbada, contribue pour environ 77% du PIB. Au premier semestre 2006, le nombre de PME privées est de 259 282 sur un total de 362 112 PME publiques et privées et artisanat, selon les informations du département de la PME et de l'Artisanat. Aussi, ces PME (nombre d'employeurs) emploient 665 464 salariés, soit près d'un employeur pour trois salariés. Cela dénote la part dominante de tailles petites ou moyennes de ces entités. Au-delà, le profil familial des entreprises algériennes qui dérange tant les autorités soulève d'autres questions. Car, n'est-il pas vrai que la plupart des multinationales sont aussi familiales ou en tous cas issues d'entreprises originellement familiales ? Où serait donc le hic ? Si l'on s'en tient aux affirmations de l'ex-ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, cette caractéristique de l'entité de production algérienne cache mal le soucis de transparence des comptes de l'entreprise et donc des impôts. L'on se souvient qu'en 2001, le ministre s'est déjà penché un peu sur la question. Déjà que l'on parle d'une faible contribution du secteur privé aux recettes fiscales de l'Etat. L'on affirme que le niveau de sa contribution aurait été, il y a à peine un an, de 0,6% de la fiscalité ordinaire. Est-ce un hasard si la dernière mesure prise par les autorités le mois dernier a trait au contrôle permanent et obligatoire des SARL, c'est-à-dire de la moitié de l'ensemble des entreprises algériennes (chiffre indiqué plus haut par le CNRC). Un décret exécutif rend désormais " obligatoire l'exercice du contrôle permanent et la certification de la sincérité et la régularité des comptes sociaux des sociétés à responsabilité limitée (SARL) ". La nouveauté consiste à ce que les commissaires aux comptes chargés de ces missions soient désignés selon les mêmes modalités que les sociétés par actions (SPA) après réhabilitation par l'Ordre national des experts comptables. En théorie en effet, les juristes considèrent que la SPA est la forme juridique d'une société qui soit la mieux à même de permettre un certain niveau de transparence comparé aux autres statuts que sont la SARL, l'EURL ou autres. Mais en théorie seulement, dit-on. Par ailleurs, côté secteur privé, les répliques ne sont pas des moindres. Rendant la pareille, les opérateurs privés ne manquent pas de souligner la démission de l'Etat quant aux besoins pressants dont fait part ce secteur afin de se prémunir contre la menace des entreprises étrangères ou le marché de l'importation. Le Foncier, le climat des affaires, le faible concours bancaire pour la promotion de la PME algérienne restent aujourd'hui encore autant d'obstacles qu'ils dénoncent auprès des services de l'Etat. Le secteur privé algérien reste ainsi en proie à d'énormes difficultés. Il s'agit aujourd'hui de savoir de quel côté la balance sera penchée. D'une part, la levée de statut familial qui caractérise la plupart des entreprises en vue de voir l'entrée (le but recherché ?) de nouveaux actionnaires dans l'entité privée afin de se donner les moyens de se développer. En un mot, ira-t-on vers la société anonyme ? D'autre part, une implication plus prononcée de l'Etat pour prendre en charge des revendications patronales. En somme, cette forme de procès intenté au statut familial de la plupart des entreprises privées pose les termes d'un débat nouveau sur la capitalisme algérien. Et peut-être même sur ce que serait une richesse personnelle et le patrimoine d'entreprise.