Saber danse à perdre haleine, le burnous sur ses frêles épaules qui ont porté toute la damnation du monde jusqu'à ce que son destin croise celui de « l'association de proximité du film scientifique pour le développement social ». Saber danse puisque c'est le jour de son mariage, lui qui, pendant 25 longues années, n'a été que le malade mental, le fou, le damné, une charge très lourde pour ses parents habitant un vide sanitaire de la cité des Mûriers de Constantine. Aujourd'hui, à trente ans, Saber est employé comme aide-jardinier au centre de formation du personnel pour handicapés (CNFPH). Auparavant, il avait été pris en charge par le centre médico-pédagogique (CMP) de Daksi jusqu'à l'âge de dix-huit ans puis « relâché dans la nature comme tant d'autres de handicapés mentaux », selon les mots de Abdelaziz Benabdelmalek, un cadre du CNFPH. Et d'ajouter : « Saber était atteint d'une débilité mentale moyenne. Sa locution et les tics qui l'affectaient semblaient irréversibles. Il ne parlait presque pas et n'était pas sociable. Il avait de graves problèmes d'énurésie et sa démarche rappelait celle d'un animal. » Et puis, comme dans un conte de fées, Saber sera touché par la baguette magique du ministère de l'Emploi et de la Solidarité nationale qui signera une convention avec une entreprise allemande spécialisée dans le traitement des handicapés mentaux, GTZ. Le CNFPH de Constantine aura le mérite d'accueillir et de travailler en étroite collaboration avec les Allemands de 2001 à 2005 et Saber sera le « cas » pendant une période de quatre années. Toute l'expérience sera filmée tout au long des mois qui suivront par Ghernaout Mohamed, le président de l'association citée plus haut et enseignant en audiovisuel au même CNFPH, et sera ponctuée par un film de 52 minutes qui portera sobrement le titre de « Saber ». Un éducateur suivra pendant une année étroitement Saber qui a débarqué au CNFPH à l'âge de 25 ans, un suivi qui viendra s'ajouter au travail préalablement entamé par l'équipe algéro-allemande. Et puis, comme par magie, et à travers les images du film de Ghernaout, on assiste à une métamorphose délirante, car de l'homme incliné, baveux, énurétique, balbutiant et renfermé sur son handicap, on assiste à la naissance d'un autre Saber bien habillé, souriant, plaisantant avec ses collègues au foyer du CNFPH, faisant des commissions pour ses parents et acquérant un compte CCP et un carnet CNEP. Ce n'était plus une transformation, c'était une seconde naissance. Saber ira même acheter avec le fruit de son travail une bibliothèque et une télévision. Et puis l'appétit venant en guérissant, il a demandé à ses parents de convoler en justes noces. Ce qui fut fait au mois de juin dernier, et ce pour boucler une boucle qu'il était difficile de concevoir il y a quelques années. Dans le monde, le cas le plus célèbre d'intégration restera celui de Berger, un autiste allemand qui est de nos jours un informaticien très prisé outre-Rhin, suivi de Pascal Duquesnne, un trisomique 21, mongolien dans le langage courant, qui arrivera à interpréter un premier rôle dans le film « Le 8e jour » avec l'immense Daniel Auteuil en compagnie duquel il décrochera, ex aequo, le prix de la meilleure interprétation masculine au festival de Cannes. « Il ne faut pas se leurrer, nous dira Benabdelmalek. On ne guérit pas d'un handicap mental. Mais avec une prise en charge telle que celle de Saber, le sujet sera intégré le plus normalement au monde du travail et passera du statut de pris en charge à celui de producteur de richesse par son travail et ne sera plus ce poids à supporter par une société égoïste. » De visu et à travers les bandes du film « Saber », on a constaté que le handicapé a aussi sa place dans le monde du travail et que le décret soumettant toutes les entreprises de recruter un pourcentage préétabli de personnels handicapés ne sera plus une obligation ni une chimère, car entre le Saber qui avait 25 ans et celui qui en a aujourd'hui 30, entouré de sa douce moitié et de ses parents, il n'y a que la longueur de la bande du film et beaucoup d'espoir pour d'autres Saber.