« Le contrat international souffre d'une solide réputation d'obscurité. » Cette citation d'un grand auteur illustre la complexité de notre sujet. Nous n'avons pas la prétention d'aborder les aspects nombreux et complexes de la question, cela nécessiterait une étude autrement plus longue et un lectorat spécialisé. Nous avons estimé utile d'écrire cet article maintenant parce que le législateur algérien a estimé devoir introduire en 2005 une réforme qui apporte des modifications fondamentales aux dispositions relatives aux contrats internationaux. Il est vrai que la partie cardinale de notre article s'intéresse au code civil, notamment la réforme de 2005 mais la compréhension du contrat international et son application nécessitent l'examen et le recours à d'autres textes législatifs notamment le code des marchés publics, le code de commerce, le code des investissements. Nos essaierons de répondre à trois interrogations cardinales : comment reconnaître un contrat international et comment le distinguer d'un contrat interne ? Comment choisir et comment déterminer le droit applicable à un contrat international ? Quelle est la juridiction compétente en cas de litige relatif à un contrat international ? La définition du contrat international Précision préliminaire Le code civil algérien ne définit pas le contrat international. Sur cette question, il observe un silence troublant, mais compréhensible. Les éléments récurrents mais insuffisants qui permettent de reconnaître un contrat international et de le distinguer d'un contrat interne sont la traversée de frontières, la mise en cause des intérêts du commerce international et l'intervention de parties appartenant à des nationalités différentes. L'évolution du monde, l'intensification des échanges, les intégrations économiques, l'entrée en vigueur d'une multitude d'accords multilatéraux font que ces critères classiques se retrouvent soit dépassés soit insuffisants soit inopérants. Un contrat peut être international sans traversée de frontières : exemple un contrat passé entre deux sociétés de nationalités différentes mais installées dans un même pays d'accueil. La notion d'« intérêts du commerce international » est imprécise, fumante et vaseuse. La compréhension et la précision de cette formule renvoient aux mêmes difficultés que celles de la définition du contrat international : une tentation et une tendance à céder à la facilité et aux fausses évidences conduisent à considérer qu'une opération de commerce international est celle où l'on enregistre un transfert de richesses et de valeurs à travers des frontières nationales. Un raisonnement a contrario permet de déduire qu'une opération qui se déroule, dans toutes ses composantes, dans un territoire donné est une opération de commerce national. Le raisonnement paraît commode ; cependant la complexité croissante des mécanismes d'échanges internationaux invite à la prudence et oblige à nuancer, notamment en présentant des cas de figure ou même en l'absence d'un transfert de monnaie ou de marchandise à travers des frontières, une opération commerciale aura manifestement un caractère international. Exemple : deux entreprises ou opérateurs économiques de droit étranger établis en Algérie où elles ont leurs infrastructures de production, leurs marchandises et leurs comptes bancaires, concluent et concrétisent une opération commerciale dans laquelle tant le transfert des biens vendus que celui de la monnaie de paiement se dérouleront en territoire algérien. Aucune traversée de frontières n'est enregistrée tout au long des prestations contractuelles. Il serait à notre sens paradoxal de considérer ce contrat comme étant un contrat interne en invoquant l'absence de flux de marchandise ou de monnaie à travers des frontières. Cet argument serait d'autant plus inopérant que les parties à ce contrat peuvent convenir de soumettre leur accord à un droit étranger. Ainsi si l'on adopte le critère classique de transbordement de frontières, un contrat soumis à un droit non algérien, conclu et exécuté en Algérie entre des opérateurs étrangers sera considéré contre toute logique comme étant une opération commerciale interne et donc retranchée au champ d'applicabilité de l'arbitrage international. Ce cas de figure est édifiant et démontre l'inadaptation du critère classique de dépassement des frontières. La nationalité d'un opérateur économique est devenue un élément superfétatoire devant les accords internationaux qui dénationalisent l'investissement en autorisant les opérateurs étrangers à opter pour le régime national et aussi en permettant aux opérateurs nationaux à investir dans leur pays sous un régime étranger. On appartient beaucoup plus à un droit qu'à une nationalité. Des investisseurs algériens peuvent créer en Algérie une société de droit étranger. Des investisseurs étrangers peuvent créer en Algérie une société de droit algérien. De ce fait, un contrat passé entre deux entités à capitaux étrangers mais de droit algérien n'est pas forcément un contrat international mais peut être un contrat interne. Un autre contrat passé entre deux sociétés à capitaux algériens mais créées sous le régime de droit étranger peut être international. La notion d'opérateur étranger ou de société étrangère est aussi variable dans les différents textes législatifs internes notamment le code des investissements. La majeure partie des textes régulateurs de l'activité économique avancent le distinguo « entreprises résidentes » et « entreprises non résidentes ». En substance, sur le plan pratique, on reconnaît le contrat international et aussi on le distingue du contrat interne par la présence de deux clauses. La clause de droit applicable Les parties à un contrat international peuvent choisir un droit auquel elles soumettront leur contrat. Ce droit sera applicable à leur contrat et suppléera aux silences ou aux carences de leurs contrats sur une question déterminée. Trois possibilités sont ouvertes pour ce choix : un droit national de l'une d'elles, le droit national d'un Etat tiers, un corps de règles de droit international tel par exemple une convention internationale relative à l'objet du contrat. Sur les possibilités ouvertes pour le choix du droit applicable, la réforme du code civil constitue une évolution notable mais malheureuse, car insuffisante. Quelle est la loi applicable aux contrats internationaux ? La version initiale qui date de 1975, il y a plus de trente ans, établit le classement suivant : la loi convenue par les parties et la loi du lieu de conclusion. La réforme de 2005 établit un ordre relativement différent : la loi d'autonomie qui est une autre appellation de la loi choisie par les parties. La formule « autonomie de la volonté » est une consécration du principe selon lequel la volonté des parties est souveraine quant à la conclusion des relations contractuelles et elle est aussi souveraine pour choir et déterminer le droit applicable aux relations contractuelles convenues. Le réformateur du code civil conditionne le respect et l'effectivité de ce choix par une condition : l'existence d'une « relation réelle » entre la loi choisie et les cocontractants ou le contrat. A défaut de choix par les parties on appliquera la loi du domicile commun ou la loi de la nationalité commune. A défaut du domicile commun ou de la nationalité commune on appliquera la loi du lieu de conclusion du contrat, c'est-à-dire le lieu où il a été conclu et signé. Cette réforme appelle le commentaire suivant. La restriction de la liberté des parties La version de 1975 accorde un respect absolu à la loi choisie par les parties et donc au principe de l'autonomie de la volonté des parties ; par contre la version de 2005 limite cette liberté par l'existence d'une « relation réelle » entre la loi choisie avec les cocontractants ou le contrat. Le rédacteur du texte de la réforme ne donne hélas aucune précision sur la nature de la relation exigée. Doit-on déduire que le contrat doit être exécuté en tout ou partie sur le territoire de l'Etat de la loi choisie ? Doit-on déduire aussi que les parties ne sont pas libres de choisir un droit performant et évolué dans le domaine de leur contrat s'il n'y a aucun lien, aucun rapport entre ce droit et le contrat ou les cocontractants. Cette limitation de la liberté des parties dans le choix du droit qui régira leur relation est regrettable et l'ambiguïté qui règne sur la formule « relation réelle » l'est davantage. En tout état de cause, en restreignant la liberté des parties dans le choix de la loi contractuelle, le législateur algérien va à contresens de l'histoire. Les lois supplétives : imprécision et archaïsme La réforme de 2005 a donné naissance à deux lois, potentiellement différentes, la première position supplétive au choix des parties, à savoir la loi du domicile commun ou de la nationalité commune : ce choix est très contestable car archaïque et imprécis. Imprécis : en raison de la pluralité des domiciles possibles et la possible pluralité de nationalités pour les personnes physiques (nationalité d'origine et nationalité acquise) et aussi pour les personnes morales. Il y a lieu de préciser que la code civil a levé le blocage en précisant qu'en cas de pluralité de nationalités, il sera tenu compte de la nationalité effective. Pour les entreprises, il s'agirait à notre sens de la nationalité économique, c'est-à-dire celle du pays où ladite entreprise exerce le gros des activités où elle a une identification fiscale. Mais cela n'est qu'un point de vue, une tentative, acceptable ou à rejeter, pour sortir de l'ambiguïté. Archaïque, car les capitaux, les investissements, les opérateurs, les affaires ont tendance à se dénationaliser. Par ailleurs, en prévoyant le domicile commun et la nationalité commune dans un même alinéa, le rédacteur du texte laisse planer un doute de la priorité de l'un sur l'autre. La loi du lieu de conclusion : impertinence-imprécision-archaïsme. Il s'agit là aussi d'un choix très discutable parce qu'imprécis, impertinent et aussi archaïque, dépassé par les avancements du droit. Imprécis : le lieu de conclusion d'un contrat ne peut pas toujours être déterminé avec précision, les contrats internationaux sont négociés durant de longues périodes, des endroits différents et on ne sait pas toujours où le contrat a finalement été conclu. Quid dans les contrats on line... Impertinent : le lieu de conclusion est parfois dû au seul hasard et peut n'avoir aucune relation réelle avec le contrat lui-même, son choix peut s'avérer sans aucune utilité. Archaïque par rapport au développement des techniques de communication et difficilement applicable aux contrats on-line. La loi du ou des lieu(x) d'exécution : une omission incompréhensible, regrettable. Le réformateur de 2005 a omis la loi, qui à nos yeux est la plus appropriée à régir un contrat, celle du lieu de son exécution, et pour les contrats qui sont exécutés dans plusieurs lieux différents « la loi du lieu de l'exécution de la prestation la plus caractéristique ». C'est la formule consacrée par les progrès de la jurisprudence. Nous avions espéré que le législateur algérien la reprenne à la première réforme du code civil. Le rédacteur du code civil de 1975 et son réformateur en 2005 s'accordent pour soumettre « les contrats relatifs aux immeubles à la loi du lieu de situation de l'immeuble ». L'article 21 (version 1975) est venu apporter une précision cardinale : les dispositions qui précédent ne s'appliquent que lorsqu'il n'en est pas autrement disposé par une loi spéciale ou par une convention internationale en vigueur en Algérie. Ainsi pour déterminer ou choisir le droit applicable à une relation contractuelle avec un partenaire étranger, qu'il soit une personne physique ou une personne morale, il faut d'abord vérifier si son pays n'est pas lié par une convention internationale avec l'Algérie. Cette précision est d'une importance cardinale puisque la plupart de nos échanges internationaux se déroulent avec des partenaires dont les pays d'origine sont liés à l'Algérie par une convention complexe devant laquelle s'écartera les règles du droit algérien. Il faut aussi vérifier l'absence d'une loi spéciale nationale qui régit l'objet du contrat. Il est à remarquer que cette réforme du code civil algérien attendue depuis plus de trente ans n'a pas donné au code civil la marque de son temps. Le code civil est le tronc commun du droit des contrats et des échanges entre les personnes physiques et morales, c'est pour dire son importance dans la vie économique et dans la vie tout court. Les dispositions relatives au contrat et notamment au contrat international n'ont été révisées qu'après trente ans (depuis 1975 à 2005) et de plus elles ont enregistré un bond en arrière. L'évolution de notre droit avance (car avancer suppose aller de l'avant) ou plutôt bouge très lentement, à une période où les échanges et les changements s'accélèrent, et de plus notre législateur revient en arrière à contresens de l'histoire. Le remède est tout simple, il faut donner la parole à ceux qui savent. L'auteur est avocat