Le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane (MBS), a reconnu, dans un entretien accordé le 22 mars à une équipe de journalistes du Washington Post, que son pays était responsable de la propagation de l'intégrisme dans le monde musulman. MBS a précisé que c'est durant la guerre froide et à la demande de ses alliés occidentaux que l'Arabie Saoudite a entrepris de répandre le wahhabisme. «A l'origine, c'est à la demande de nos alliés que nous nous sommes investis dans la création d'écoles coraniques, de mosquées et la propagation du wahhabisme dans le monde musulman», a-t-il avoué. Mohammed Ben Salmane a expliqué que le but de l'opération «était d'empêcher l'Union soviétique d'asseoir son influence dans le monde musulman» et par conséquent de faire barrage à l'avancée du communisme. «Nos alliés ont exigé de nous que nous utilisions nos ressources pour accomplir cette tâche», a-t-il en outre précisé. Il faut comprendre par là que l'Arabie Saoudite a instrumentalisé l'islam pour renverser des régimes prosoviétiques ou tout simplement modernistes et encouragé la création de partis fondamentalistes. Le contenu des déclarations de MBS n'est pas en soit un scoop. Aujourd'hui, à peu près tout le monde connaît l'étendue de la responsabilité de l'Arabie Saoudite dans l'émergence de l'intégrisme dans le monde musulman. La nouveauté réside surtout dans le fait que de tels aveux soient faits par un responsable saoudien. Et pas n'importe lequel. Des aveux qui confirment également que l'islamisme et l'intégrisme sous leur forme actuelle sont de purs produits de laboratoire, des bêtes immondes qui, pour certains, ont fini par échapper à leurs concepteurs. L'intégrisme, un produit de laboratoire Le prince héritier saoudien, qui effectue actuellement une visite officielle aux Etats-Unis, ne s'arrête pas là dans sa critique de l'instrumentalisation par l'Arabie Saoudite du fait religieux. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il a admis également que «les gouvernements saoudiens successifs se sont égarés» et qu'il est urgent «aujourd'hui d'œuvrer à un retour à la normale». S'agissant du financement du wahhabisme – que tous les spécialistes considèrent comme étant la matrice idéologique du terrorisme qui ravage actuellement le monde musulman –, MBS a assuré qu'il «provient en grande partie d'institutions privées basées dans le royaume» et qu'il ne s'agit pas d'une politique d'Etat. Sauf que sur ce point précis, des spécialistes de l'Arabie Saoudite soutiennent aussi que rien n'aurait pu se faire sans l'aval des locataires successifs du palais d'Al Yamamah. Et ils rappellent que ce ne sont pas les preuves qui manquent. Riyad a, par exemple, ouvertement affiché son soutien aux islamistes algériens durant les années 1990, y compris pendant la période des grands massacres. Et ce soutien était multiforme. Quoi qu'il en soit, MBS a promis dans son entretien au Washington Post que l'Etat saoudien allait tout mettre en œuvre pour remédier à la situation et tarir les sources de financement du terrorisme et de l'intégrisme. Ce n'est pas la première fois que le prince héritier Mohammed Ben Salmane fait des annonces aussi tonitruantes. En automne dernier, il avait également étonné en promettant notamment une rupture nette avec «trente années d'idées extrémistes». «Nous allons détruire les idées extrémistes aujourd'hui, immédiatement», a déclaré le prince héritier saoudien, mardi 24 octobre, dans le cadre d'un forum sur les investissements, organisé dans la capitale Riyad. «En Arabie Saoudite, et dans toute la région, un projet de réislamisation (sahwa) s'est répandu depuis 1979 pour diverses raisons qu'on ne va pas rappeler ici maintenant. Mais nous n'étions pas comme ça. Nous allons simplement revenir à ce que nous étions avant, à un islam du juste milieu, modéré, ouvert sur le monde, l'ensemble des religions et l'ensemble des traditions et des peuples», avait-il encore déclaré devant les caméras de la chaîne américaine en langue arabe Sky News arabic. C'est donc Mohammed Ben Salmane lui-même qui se propose aujourd'hui de tourner la page de ce sombre épisode. Toute la question maintenant est de savoir si les lobbies religieux en Arabie Saoudite et ailleurs le laisseront faire.