Bamberg (Allemagne) Saïd Gada [email protected] L'université Otto-Friedrich de Bamberg (centre de l'Allemagne) a abrité une rencontre internationale sur les effets traumatiques de la guerre et les conflits armés du 9 au 11 mars dernier. De nombreux universitaires de différents pays (Danemark, Italie, Algérie, Bosnie, Allemagne, Maroc) ont présenté des communications sur le sujet. Outre des travaux d'essence théorique sur le traumatisme et des études psychologiques sur les survivants de tragédies (guerre du Vietnam, Bosnie, Algérie), l'assistance, composée d'étudiants et d'universitaires, a suivi des interventions et débattu ce thème à travers la récente et moderne discipline universitaire qu'est l'«Etude des médias». A ce sujet, nous avons présenté une communication sur le traumatisme des survivants des massacres collectifs en 1997 et 1998 sur la base de reportages du quotidien El Watan publiés pour commémorer les 20 ans des tueries massives d'alors. Dans ses éditions des mois d'août et septembre 2017, les reporters du journal ont apporté des témoignages des survivants de la vague meurtrière des terroristes. Dans les éditions des 2 et 3 janvier 2018 également, El Watan publie des reportages sur les massacres de Relizane. Les reportages, réalisés 20 ans après les carnages, ont été analysés sous l'approche théorique connue sous la dénomination de «La conspiration du silence». Cette théorie de Yeal Danieli, psychanalyste et victimologiste, est élaborée après son étude sur les survivants de l'Holocoste, «qui sont confinés dans le silence sur leur traumatisme, tant les récits des victimes qui ont survécu à la tragédie paraissaient incroyables aux yeux même des psychologues qui les ont pris en charge». Les survivants évitent ainsi les séances thérapeutiques, devant le manque d'émotion de leurs psychologues. Ils se sont alors murés dans le silence, faisant de leur traumatisme un phénomène intergénérationnel et transgénérationnel, explique Y. Danieli. Dans le cas des reportages d'El Watan, une psychologue rapporte des réactions similaires des survivants. Dr Sabrina Gahar, psychologue, spécialisée dans le psychotrauma affirme : «La volonté des victimes de participer comme objet d'études et de recherches se manifeste de moins en moins» (El Watan, 23/09/2017, P 6). Toutefois, le journal, en tant que média, a pris une part importante dans «La rupture de la conspiration du silence», une approche de Kelly Mc Kinney, qui a travaillé sur le témoignage, la mémoire traumatique et la psychothérapie avec les survivants de la violence politique. Dans son édition du 2 janvier 2018, par exemple, El Watan écrit en Une : «Il y a 20 ans, les massacres de Ramka et Had Chekala à Relizane : 1200 morts sans tombe ni sépulture.» La reporter narre les terribles témoignages des survivants. «J'ai enterré mes six enfants et leur mère. Jamais je n'aurais pensé vivre un tel cauchemar.[ …] Ils (les terroristes) avaient des haches et des couteaux. Ils se sont acharnés sur ma femme et mes enfants. Mon bébé a été réveillé par les cris de sa mère. Ils ne l'ont même pas épargné» (El Watan, 02/01/2018, p 2). Dans cinq éditions (27/08/2017, 28/08/2017, 23/09/2017, 02/01/2018, 03/01/2018), le journal présente en Une ces reportages, comme un engagement et un soutien envers les victimes et un devoir de mémoire après une décennie d'attentats terroristes. C'est aussi et probablement un objectif non préalablement établi, un moyen offert aux survivants pour exorciser leur traumatisme et porter à la connaissance des pouvoirs et de l'opinion publics leurs difficultés à reconstruire leur vie. El Watan brise ainsi cette autre dimension de la «conspiration du silence», tant les témoins rejettent les politiques du pouvoir en matière de réconciliation. Dans cette tragédie algérienne d'essence islamiste, les participants ont soulevé la question du pardon et l'expression réciproque d'empathie entre la victime (qui pardonne) et le bourreau (qui exprime ses remords). Guerre et traumatisme dans l'expérience algérienne a été traitée sous une autre forme par Nadia Naar, universitaire, qui a présenté une communication sur ce thème à travers les textes de Kateb Yacine, Mouloud Feraoun et Rachid Mimouni. Des films de fiction et documentaires ont fait l'objet d'études par les participants, qui ont démontré que le «business of trauma» n'est pas encore fini, des années après la fin des guerres.