Hier, aucune famille ne s'était manifestée auprès de la gendarmerie pour reconnaître l'écriture de Derkouani Lakhdar, un harraga ayant jeté à la mer un message d'adieu dans une bouteille en plastique. Cette dernière a été retrouvée par des gendarmes à 40 km à l'est de Béni Saf, sur la plage de Ouardania, un lieu désert, sauf en saison estivale. Serait-ce alors un canular de mauvais goût ? Il y a effectivement un indice qui le laisse penser. En effet, à l'examen du manuscrit, il paraît difficile de croire que l'on puisse écrire aussi posément, sans trace de stylo qui dérape hors de la ligne, au milieu ou à la fin d'un mot, dans une barque agitée par les flots en furie. Cependant, ce qui plaide pour l'authenticité du texte, c'est moins son support, le papier d'une boîte de cigarette, mais plutôt son propos quelque peu naïf et décousu. Après la Basmallah d'usage, l'expression est d'un arabe scolaire qui emploie un énigmatique nous collectif : « Nous avons tenté de fuir le pays (el belda). Malheureusement, nous n'avons pas réussi. La mer nous a envahis. Adieu. Moi, c'est Derkouani Lakhdar. Chère mère, prends soin de toi, toi aussi, ainsi que mes frères et sœurs. Que Dieu nous soit Miséricordieux et qu'Il nous bénisse. » Le nous renverrait-il à des compagnons que les parents du naufragé connaissent ? Puis le style change brutalement pour décliner vers le dialectal en usant d'un dicton populaire : « Celui qui n'écoute pas la voix de la raison est condamné à l'échec. » Enfin, plus pathétique, parce qu'il n'y a plus d'espace sur la feuille, l'auteur du message va à l'essentiel : « Adieu maman et mon papa. Vous êtes les plus chers dans la vie. Merci et pardon. » Le dernier mot est entouré d'un trait. Quelqu'un va-t-il se manifester ?