Plusieurs policiers et d'anciens responsables du service des cartes grises de la daïra de Bouzaréah ont comparu, hier, devant le tribunal correctionnel de Bab El Oued, près la cour d'Alger pour corruption, faux et usage de faux, abus d'autorité et association de malfaiteurs. Il s'agit, en fait, d'une affaire de trafic de cartes grises qui remonte à 2003, mais qui a resurgi au début de l'année 2005, pour des raisons non élucidées par le tribunal. L'audition des prévenus, quatre en détention et sept en liberté provisoire, ainsi que des témoins, a dévoilé un arrière-fond de règlement de comptes entre des clans au niveau de la police sans pour autant faire la lumière sur la responsabilité des uns et des autres dans le trafic des 56 dossiers de base (au nom de personnes décédées, ne résidant pas dans la daïra, etc.) pour l'établissement de cartes grises. Tahar Bencheikh, ancien chef de service des cartes grises à la daïra de Bouzaréah, a été le premier prévenu appelé à la barre. D'emblée il a tout nié, expliquant que les aveux contenus dans les procès-verbaux de la police ont été extirpés sous la torture. « Quelqu'un que je ne connais pas est venu me voir pour me dire que la police a ouvert une enquête sur le trafic des cartes grises et pour que le dossier soit fermé, il faut que tu paies. Je me suis plaint au chef de sûreté de wilaya d'Alger, par écrit. Quatre jours après, les policiers sont venus prendre les dossiers. » Bencheikh reconnaît quand même qu'il est le seul à détenir le code permettant l'accès aux données informatiques des cartes grises. La présidente l'informe alors que ce code a été utilisé pour changer certaines informations dans le système. « Je ne connais même pas comment utiliser un micro. Ce n'est pas moi », a t-il répondu. La juge revient à la charge en lui rappelant ses propos devant la police. « Pour chaque dossier falsifié, tu touchais 5000 DA. Tu as demandé aux policiers de clore l'enquête en contrepartie d'une somme de 6 millions de dinars. » Le prévenu maintient son rejet de toutes ces déclarations, affirmant à chaque fois qu'il s'est plaint des policiers qui lui faisaient du chantage. Interrogé sur le cachet qu'il a gardé après son départ du service, Bencheikh a répondu : « Il porte mon nom je ne le donne pas. Je le garde avec moi. » « Pourquoi l'as-tu gardé, il doit rester au service ? ». Une tactique qui consiste à tout nier Le prévenu ne semblait pas d'accord. Bouchouareb Abdelmalek, un inspecteur de police, a, quant à lui, nié tous les faits qui lui sont reprochés, entre autres la falsification des documents d'une Mercedes et avoir remis les 500 000 DA à Bencheikh en contrepartie de la fermeture de l'enquête. « J'ai entendu des rumeurs selon lesquelles quelqu'un tente de tout faire pour que l'enquête s'arrête. Mais, après, toute l'équipe a été mutée ailleurs. Les autres ont poursuivi le travail. » Son frère, Bouchouareb Azzedine, a rejeté en bloc les accusations. « Tu as servi d'intermédiaire entre Bencheikh et ton frère. Tu as remis à ce dernier 500 000 DA, puis, 1 million de dinars à Bencheikh , qu'as-tu à dire ? », lui lance la présidente. Il niera catégoriquement en précisant avoir été torturé par la police pour arriver à ces aveux. « On m'a déshabillé et mis le chiffon avec des eaux usées dans ma bouche. J'étais prêt à dire n'importe quoi. » La même tactique a été utilisée par Bahi Samir, agent de sécurité à la daïra de Bouzaréah, accusé d'avoir servi dans le trafic de documents. Il a tout nié, y compris avoir travaillé avec Bencheikh. Bahri Hakim, un citoyen qui fait dans le commerce des véhicules, a adopté la même attitude, visant à tout nier, y compris le fait de connaître les agents du service des cartes grises chez lesquels il se présentait pour régulariser ses véhicules. « J'ai été arrêté par les agents de l'ONRB qui m'ont entendu sur les documents de deux véhicules qu'ils m'ont remis après les avoir vérifiés. » Mahieddine Mustapha, un autre commerçant, a déclaré avoir été torturé par les policiers pour lui faire dire que c'est Lyes Harzallah, un officier de police, qui lui a demandé de l'argent. Les trois agents de l'APC de Bouzaréah, Razal Rabah, Nasreddine Yattou, et Farid Ferhat, tous en liberté provisoire, ont dégagé toute responsabilité quant à la falsification des certificats de résidence introduits dans les faux dossiers de cartes grises. « Il y a votre signature sur la résidence d'une personne décédée en 1999, qu'avez-vous à dire ? », demande la présidente à Yettou. Ce dernier ne trouve pas de réponse. « C'est mon cachet mais pas ma signature », lui a-t-il déclaré. La présidente appelle à la barre les premiers témoins, en majorité des policiers. Un jeu de questions-réponses a duré plus de trois heures Rabî Mohamed Rachid, inspecteur à la sûreté de daïra de Bouzaréah, accusé par Bencheikh de lui avoir demandé des pots-de-vin. « Sur la base d'une lettre anonyme, nous avons ouvert une enquête, bien sûr sur instruction du procureur et après avis de la brigade criminelle. A l'époque, le chef de service des cartes grises état déjà relevé par le wali délégué. J'ai entendu comme tout le monde qu'il avait tenté de faire bloquer l'enquête. » La présidente lui demande de divulguer le nom de celui qui voulait la bloquer et le témoin a lancé : « L'officier Harzallah Lyes », précisant avoir avisé le chef de la brigade criminelle, l'ex-commissaire Yacine Oussadit, son chef hiérarchique, de cette affaire. Il a ajouté plus loin que tout le service a été par la suite éclaté, et l'affaire a été reprise en main par la nouvelle équipe. « Je pense que le retard est dû au temps qu'a pris l'expertise du laboratoire de Chateauneuf. » A la question de savoir s'il avait reçu des propositions d'argent de la part de Bencheikh, l'officier Benrabah, chef de section, a répondu par la négative. Il a expliqué que son collègue, l'officier Harzallah Lyes, lui a révélé que Bencheikh est prêt à payer pour étouffer l'affaire des fausses cartes grises. La présidente s'est alors interrogée si le fait d'avoir été muté n'était pas une manière de fermer le dossier. « Je ne sais pas. » Après un jeu de questions-réponses qui a duré plus de trois heures, la parole a été donnée au ministère public. Il a regretté l'absence de l'ex-commissaire Oussadit Yacine en tant que témoin au procès et a requis 7 ans contre Bencheikh Tahar assortis d'une amende de 200 000 DA, 6 ans assortis d'une amende de 200 000 DA contre Bouchouareb Abdelmalek, Bahi Samir, Mahieddine Mustapha, et 3 ans assortis d'une amende de 200 000 DA contre Harzellah Lyes, Bouchouareb Azeddine, Yattou Nesreddine, Ferhat Farid, et Razal Rabah. Pour ces quatre derniers, l'amende est de 15 000 DA. Les avocats ont tous plaidé l'innocence, en relevant les contradictions et les zones d'ombre qui entourent cette affaire. Pourquoi a-t-elle été close en 2003, pour être réouverte en 2005 ? Pourquoi certains responsables de la police n'ont pas été cités ? Comment se fait-il que pour le chef de service des cartes grises, il lui est reproché d'avoir gardé le cachet personnel et pour le chef de service de l'état civil de l'APC, il lui est reproché de ne pas l'avoir gardé. Autant de contradictions auxquelles le tribunal devra apporter des réponses. L'affaire a été mise en délibéré et le verdict sera connu dans une semaine, le 27 décembre 2006.