De plus en plus, on établit des liens entre les guerres du Vietnam et d'Irak. Cette question taraude les esprits. Prié de dire s'il était d'accord avec un éditorialiste(1) du New York Times qui avait affirmé que les violences actuelles en Irak étaient « l'équivalent djihadiste de l'offensive du Têt », George Bush a répondu : « Il pourrait avoir raison. » « Il est évident qu'il y a une augmentation du niveau de violence et nous nous dirigeons vers une élection », a dit Bush. Il faut rappeler que l'offensive du Têt, (janv-févr 1968), qui a été couronnée par la brève occupation de l'ambassade des Etats-Unis à Saigon par des rebelles, était une offensive surprise destinée à marquer les esprits. Bien que les rapports américains sur la guerre étaient toujours optimistes, cette offensive en démontra la vanité et coûta la présidence aux démocrates. Il s'agissait dorénavant de finir la guerre sans perdre la face. La guerre se prolongea cependant quatre années encore. Un cessez-le-feu est enfin signé le 27 janvier 1973. A l'occasion de la visite du président Bush au Vietnam, où il doit assister au Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), son conseiller Stephen Hadley(2) pour la Sécurité nationale a reconnu que ce déplacement à Hanol pourrait conduire certains à établir des liens entre ce qui se passe en Irak et la guerre du Vietnam. Mais le conseiller conteste cette comparaison, soulignant que le soutien des Américains pour l'action militaire en Irak reste largement supérieur à celui dont bénéficiait la guerre du Vietnam. A l'époque, a-t-il fait valoir, les projets de retrait des troupes faisaient craindre la chute d'autres régimes dans la région, pas une poussée du terrorisme mondial. « Les discussions tournaient autour de l'effet domino », a-t-il expliqué. « Mais personne, je crois, ne pensait que cela pourrait représenter un danger pour le territoire des Etats-Unis. » « L'Asie du sud-est est une région où l'on relève une présence terroriste active liée à Al Qaïda que nous nous employons à faire reculer avec nos partenaires », a-t-il observé. « C'est aussi une région où des défis transnationaux existent en matière de santé, notamment pour la grippe aviaire. » Quelle que soit l'appréciation, il faut se rendre à l'évidence, le Parti républicain a perdu les deux chambres du Congrès lors des élections de mi-mandat de novembre 2006. La poursuite de l'insurrection, la guerre civile et le bilan croissant des pertes américaines en Irak ont érodé la confiance des Américains en George Bush. Et il paraît désormais impossible pour le président américain d'échapper aux comparaisons. Ce revers, perçu comme un signe du mécontentement des électeurs américains face à la conduite de la guerre en Irak, a conforté dans leur analyse les observateurs jugeant que Bush est désormais empêtré dans son propre Vietnam. 1. Le parallélisme entre les deux guerres Objectivement, on peut citer des points de similitude que nombre d'analyses d'observateurs n'ont pas manqué d'établir. Tout d'abord, la cote de popularité du Président reste bloquée sous les 40%, comme celles de ses prédécesseurs Lyndon Johnson et Richard Nixon lors de la guerre du Vietnam. Les sondages montrent en outre qu'une majorité d'Américains considère désormais la guerre en Irak comme une erreur. Les consultations de George Bush avec la commission bipartisane chargée de présenter des solutions pour stabiliser l'Irak coprésidée par James Baker, ancien secrétaire d'Etat et par l'ancien parlementaire démocrate Lee Hamilton renvoient également à la période de la guerre du Vietnam. Vers la fin de son mandat, Lyndon Johnson s'était pareillement tourné vers d'anciens responsables pour obtenir leurs conseils sur la situation au Vietnam. Les difficultés américaines au Vietnam avaient été largement imputées au secrétaire à la Défense de l'époque, Robert McNamara. Celles désormais rencontrées en Irak sont attribuées à Donald Rumsfeld, un « faucon » placé par Bush à la tête du Pentagone. L'Administration américaine souhaite désormais s'appuyer sur l'armée irakienne pour garantir la stabilité du pays et ainsi commencer le rapatriement des forces américaines. Richard Nixon avait entrepris une politique similaire en 1969, appelée la « vietnamisation ». Six ans plus tard, Saligon tombait aux mains des communistes. La vieille « théorie des dominos » reprend également de la vigueur. Au Vietnam, il s'agissait d'enrayer la propagation du communisme en Asie. Cette fois, le président américain prévient que l'Irak pourrait devenir le premier d'une série de pays arabes à sombrer dans le « terrorisme » islamique. Enfin, Stephen Hadley reconnaît que les craintes américaines liées à un Vietnam communiste ne se sont jamais concrétisées. Mais contrairement à l'Irak, ajoute-t-il, personne ne pressentait alors de « danger manifeste et présent » contre les Etats-Unis. Et si ces prémisses sont vraies, que le combat mené en Irak est le même que celui qui fut mené au Vietnam et même... en Corée. Un combat contre les visées impérialistes américaines. De plus, pourquoi cette comparaison aujourd'hui ? Que laisse-t-elle percevoir ? Et si, pour comprendre, on se rafraîchissait aux sources de l'histoire. 2. Recul de l'empire en Asie Le 12 mars 1947, les Etats-Unis, pour faire barrage au communisme soviétique, adoptaient la politique de l'« endiguement » (containment). Inspirée par Truman, cette politique proclamait que les Etats-Unis interviendront économiquement ou militairement lorsqu'ils le jugeront nécessaire afin de préserver leurs intérêts stratégiques ou économiques. C'est ainsi qu'en septembre 1950 se déclencha une guerre des plus meurtrières que connut l'Asie. Le total des pertes en vies humaines (tués, disparus et blessés) s'éleva à 2 415 600, selon les sources des Nations unies. Presque un demi siècle après la fin des combats, la guerre de Corée n'est pas officiellement terminée. L'armistice doit encore être remplacée par un traité de paix. Dans cette guerre, le Sud n'a connu qu'une brève période d'angoisse au dernier trimestre de l'année 1950, alors que le Nord dut supporter trois années de bombardements intensifs venant s'ajouter à l'offensive terrestre de Yalu. Expliquant la « mentalité d'assiégé permanent », Carter Eckert, directeur du Centre Harvard pour les études coréennes, soulignait : « Toute la population a vécu et travaillé dans les caves artificielles souterraines durant trois ans afin d'échapper aux attaques implacables des avions américains dont n'importe lequel, du point de vue nord-coréen, était susceptible de porter une bombe atomique(3) ». Pourquoi cette guerre en 1950 ? Elle n'est pas venue ex nihilo..., mais résultait bien de considérations géopolitiques et stratégiques précises de l'époque. La « longue marche » de l'Armée rouge, victorieuse, a permis à Mao Tsé-toung de proclamer le 1er octobre 1949 à Pékin l'avènement de la République populaire de Chine. Parallèlement, au deuxième semestre 1948, les deux Corée furent créées : la République de Corée du Sud (15 août 1948) reconnue par les Etats-Unis, la Chine nationaliste et la Grande-Bretagne, la République populaire de Corée du Nord (18 septembre 1948), reconnue par l'URSS et ses alliés, ainsi que par la Chine populaire. Une ligne de démarcation, le 38e parallèle, fut transformée en frontière politique hermétique, entérinant la partition de la péninsule. Le 12 janvier 1950, Dean Acheson, secrétaire d'Etat américain, déclara devant la presse : « Le périmètre de défense des Etats-Unis va des îles Aléoutiennes au Japon », ce qui excluait la Corée et Taiwan. Deux mois après, le général Mac Arthur s'exprimait dans le même sens au cours d'une interview. En juin 1950, la Corée du Nord, encouragée sans doute par ces déclarations, lançait une offensive générale vers le Sud. Le piège se refermait sur la Corée du Nord, qui va l'isoler du reste du monde pendant plus d'un demi-siècle. Si la guerre de Corée se termine avec l'armistice le 27 juillet 1953, dans la péninsule indochinoise, la défaite écrasante de la France à Diên Biên Phu, en pays thai, le 7 mai 1954, sonne le glas aux colonies françaises (Laos, Vietnam, Cambodge). Les accords de Genève érigent le 17e parallèle en une « ligne de démarcation militaire provisoire » entre deux zones, au Nord, la République démocratique du Vietnam, au Sud, l'Etat du Vietnam et l'Union française. De plus en plus effacée, la France, en 1955, est évincée et remplacée par les Etats-Unis au Sud-Vietnam. Comme en Corée, les Américains projetaient de contenir l'expansionnisme soviéto-chinois. En 1957, les résistants du Vietminh au Sud se rebellèrent contre les exactions du régime sud-vietnamien. Le Vietnam du Nord, ne pouvant rester passif devant l'annihilation progressive de ses partisans au Sud et la consolidation de la division du pays, décida de soutenir l'insurrection. Une nouvelle guerre oppose le Vietnam du Sud au Vietnam du Nord. Deux périodes marquent ce nouveau conflit. De 1957 à 1964, répressions et guerre sous la houleffe des puissances antagonistes se font de part et d'autre du dix-septième parallèle. A partir de 1964 jusqu'à 1973, les Etats-Unis, devant l'échec des opérations militaires, l'instabilité du régime de Saigon et l'extension de la guérilla du FNL (Vietcong), engagent leurs forces au Vietnam. L'incident controversé des 2 et 4 août 1964 (attaque du contre-torpilleur américain Maddox), servira de prétexte pour justifier l'entrée en guerre des Etats-Unis contre le Vietnam du Nord. Cet engagement américain devait éviter au Viêtnam du Sud de tomber dans le giron communiste. Comme en Corée, une guerre totale (excepté les armes nucléaires) est menée par les Américains. Bombardements massifs, au napalm, aux défoliants (utilisés sur le Vietnam du Nord pour priver les forces du FNL du camouflage offert par la jungle, mais aboutissant à des dévastations de campagnes et abandon des rizières), troupes aéroportées, etc. Les attaques aériennes au Nord provoquèrent la destruction des villes, localités et complexes industriels, mais la dispersion de la population, la discipline et la détermination de la guérilla vietnamienne déjouèrent le plan américain qui visait à provoquer, par la terreur, l'effondrement du front intérieur. En janvier 1968, l'offensive du Têt qui pénétra jusqu'au centre de Salgon, amena l'Administration américaine à rechercher sérieusement une issue diplomatique. En effet, devant l'absence de perspective sur le terrain, l'effort de guerre américain n'ayant permis aucune évolution positive, il devenait possible que les Etats-Unis subissaient un effondrement de leur politique d'agression menée contre le Vietnam, et, par conséquent, une défaite face au Vietcong. Le 1re novembre 1968, le président Johnson mit fin aux bombardements sur le Vietnam du Nord. Bien qu'une conférence vietnamo-américaine s'ouvrait à Paris le 13 mai 1968 pour négocier la fin de la guerre, les combats allaient durer encore quatre années au sud du Vietnam. Enlisés, des pertes matérielles et humaines sans commune mesure avec le passé contre une moitié d'un petit pays la superficie totale du Vietnam est de 331 000 km2 les Américains ne pouvaient se résoudre à reconnaître la défaite la plus lourde de leur histoire. La guerre d'ailleurs s'étendra même au Cambodge et au Laos. Il aura fallu d'autres événements sur le plan économique, financier et monétaire dès 1970 les Européens remettent en cause la prédominance du dollar pour que les Américains s'emploient à mettre fin à la guerre. Ces problèmes d'ordre économique accélèrent le processus et bouleversent les relations internationales. Ainsi, sur le plan monétaire, le 15 août 1971, Nixon mit fin à la convertibilité or du dollar, cela veut dire tout simplement que les Etats-Unis n'ont plus la contrepartie en or aux dollars qu'ils émettent. Sur le plan des relations internationales, deux visites vont se succéder. La première visite officielle d'un président américain Nixon en Chine en février 1972, avec une concession de taille : la République populaire de Chine remplace, en 1971, Taiwan aux Nations unies. En mai 1972, une visite officielle en URSS, première dans l'histoire, elle se conclut par un important accord sur la limitation des armements nucléaires stratégiques (SALT). En janvier 1973, les accords de Paris mirent fin en principe aux combats entre le Vietnam du Nord et le Vietnam du Sud, les Etats-Unis continuent néanmoins à fournir une aide à son allié du Sud mais s'engageant à ne plus intervenir militairement. Au printemps 1975, l'effondrement soudain du régime sud-vietnamien se solde par un désastre géopolitique immense pour les Etats-Unis, c'est le « syndrome vietnamien » qui va affecter longtemps l'Amérique. Le total des pertes en vies humaines (tués, disparus et blessés) s'élève à 3 400 000, le pays est dévasté. Ces deux guerres terribles n'auront fait que dresser Coréens contre Coréens, Vietnamiens contre Vietnamiens, comme toutes les guerres impérialistes qui ont précédé. Si la seconde s'est achevée avec l'indépendance et l'unification du Vietnam, la première, ironie de l'histoire, va amener Pyongyang après un isolement de plus d'un demi-siècle, à rebaffre en 2006 les cartes de l'Asie. En faisant éclater le verrou nucléaire essai nucléaire réussi le 9 octobre 2006, elle remet en cause l'équilibre des rapports des forces au niveau planétaire. D'abord en Asie, en incitant la Corée du Sud et le Japon à revoir leur stratégie en matière nucléaire, et à s'inscrire à terme dans la parité nucléaire avec la Corée du Nord, ensuite aux Etats-Unis, en initiant une réflexion sur la viabilité du parapluie nucléaire en Asie. Si une course aux armements nucléaires s'enclenche en Asie — elle est très probable et la réunification des deux Corée devenant effective, les Etats-Unis n'auront d'autres alternatives que de revoir le déploiement de leurs forces dans le monde (y compris leurs bases américaines implantées dans le nord-est asiatique). 3. Turbulences géopolitiques aux Proche-Orient et Moyen-Orient L'année 1973 va montrer aux Américains qu'ils ne sont pas encore au bout de leurs peines. Les événements qui ont lieu au Proche-Orient dès 1967 sont éclairants à plus d'un titre. Le 5 juin 1967, à l'aube, Israël mène une guerre « préventive » contre le monde arabe. L'armée israélienne anéantit en « deux heures » toutes les aviations arabes. Du côté égyptien, on dénombre, selon les journaux de l'époque, 400 avions cloués au sol. Grâce à l'aide militaire des Etats-Unis, Israël a quadruplé sa superficie aux dépens de l'Egypte, de la Jordanie et de la Syrie. La défaite a bouleversé le monde arabe, elle n'aura que ravivé plus la blessure de 1948. Peu au fait des méthodes modernes de combat, l'impréparation militaire des pays arabes consacre le mythe d'un Israël invincible. En plus de ceffe fiction, une fracture idéologique oppose pays progressistes arabes contre pays conservateurs arabes dans un contexte d'une véritable « guerre froide interarabe ». Malgré ces vicissitudes et l'adage qui dit que les Arabes se sont mis d'accord pour ne pas être d'accord, l'imprévisible, l'impensable arrive ! Le 6 octobre 1973, la guerre du Kippour est déclenchée par les Arabes. Une armée égyptienne, sûre de sa logistique, de sa préparation militaire, traverse en quelques heures le canal de Suez, cet obstacle naturel doublé d'une ligne fortifiée (ligne de Bar-Lev), une ligne « Maginot » jugée infranchissable, est défoncée. Il va de même pour la Syrie qui enfonce tout le dispositif de sécurité israélien sur le Golan et s'apprête à déferler sur la Galilée, région occupée depuis 1948. La suite de la guerre est connue, Israël ne doit le revers causé à l'Egypte dans la partie sud du territoire égyptien que grâce à l'appui logistique en armement, en munitions et en renseignements de son puissant allié américain. Ce succès arabe, certes, consacre la fin du mythe de l'invincibilité d'Israël, cependant il affecte profondément les Arabes. (A suivre) Bibliographie : 1.Washington. Agence Reuters. 19 octobre 2006 2.Washington (AP). 12 novembre 2006 3.Incertitudes du rapprochement entre les deux Corée. Le monde diplomatique. 01/2006 L'auteur est Chercheur