Dans l'enfer irakien, on peut bien se demander à quoi servira un nouveau secrétaire américain à la Défense. Pourtant, dans une de ses rares interventions, c'est l'armée américaine elle-même qui demandait le départ de Donald Rumsfeld. Quant à dire donc qu'il a servi de fusible lors des récentes élections parlementaires aux Etats-Unis, il est bien difficile d'y répondre par l'affirmative. A vrai dire, et quelle que soit l'option envisagée et très certainement, les démocrates se garderont de retirer les troupes US d'Irak, il est difficile d'entrevoir le moindre changement dans ce pays. Les violences meurtrières s'y sont, en effet, multipliées ces derniers jours. Plus de 50 personnes ont été tuées en 24 heures à Baghdad, alors que des dizaines de corps de victimes de violences entre chiites et sunnites sont retrouvés chaque jour dans la capitale, conduisant les dirigeants sunnites à multiplier les mises en garde contre les risques de désintégration du pays. Baghdad était soumise hier à un couvre-feu dont la levée coïncide souvent avec un regain de violences. Après sa cinglante défaite aux élections parlementaires de mi-mandat, le président américain George W. Bush s'est dit « ouvert à toutes les idées et propositions » pour pacifier l'Irak. Depuis l'invasion de l'Irak par les forces américano-britanniques en mars 2003 qui ont renversé le régime du président Saddam Hussein, 150 000 Irakiens, victimes « d'actes terroristes, de combats et de meurtres » ont été tués, selon des chiffres obtenus auprès du ministère de la Santé à Baghdad. « Quelque 75 à 80 personnes sont tuées en moyenne tous les jours en Irak », en proie depuis mars 2006 à des violences confessionnelles, a affirmé un responsable du ministère en estimant que la moyenne de victimes quotidienne pouvait augmenter considérablement en fonction des événements. Ces chiffres sont loin du bilan publié en octobre par la revue médicale britannique Lancet, qui a fait état de la mort de quelque 655 000 Irakiens, dont 600 000 de mort violente entre mars 2003 et juillet 2006, une estimation jugée peu crédible et exagérée par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les dirigeants irakiens. Avant la publication de ces chiffres officiels irakiens, le principal dirigeant sunnite irakien, Adnane Al Doulaïmi, a mis en garde jeudi contre les risques de désintégration de son pays en raison du chaos. « Quelque 3000 Irakiens fuient chaque jour vers l'étranger », a dit M. Doulaïmi, soulignant « la situation tragique à Baghdad, où les destructions touchent aussi bien les habitations que les mosquées et les facultés ». Lors de ses premières consultations avec la nouvelle majorité démocrate au Congrès, le républicain Bush s'est dit « ouvert à toutes les idées qui nous aideront à atteindre notre objectif, qui est de vaincre les terroristes et de faire en sorte que le gouvernement démocratique irakien réussisse ». Le président américain a affirmé sa volonté de « tourner la page des élections et de travailler ensemble sur les grandes questions auxquelles l'Amérique est confrontée ». Cela vaut aussi pour l'Irak où l'armée américaine a annoncé la mort de trois soldats américains la veille dans des attaques, portant à 2839 le nombre des militaires américains morts en Irak depuis l'invasion en mars 2003, selon un décompte basé sur les chiffres du Pentagone. Vingt-deux soldats américains y sont morts depuis début novembre. En tout état de cause, les Américains attendent un changement de politique sur l'Irak. Quelques jours avant le scrutin, le président américain défendait encore fermement sa stratégie actuelle. « Notre objectif en Irak, c'est la victoire », proclamait-il. Et il accusait les démocrates, qui appelaient à un changement de cap, de n'avoir aucun plan de sortie et de vouloir retirer piteusement d'Irak les quelque 150 000 soldats américains en abandonnant les Irakiens à leur sort. Rumsfeld n'est plus ministre, mais M. Bush s'est gardé de parler de changement de cap en Irak, préférant évoquer la nécessité d'une « nouvelle perspective ». Le remplaçant de Donald Rumsfeld, Robert Gates, ancien directeur de la CIA (sous la présidence de George Bush père au début des années 1990), est présenté comme un pragmatique, capable d'écouter les conseils des militaires. En quelque sorte, l'antithèse de son prédécesseur, accusé d'arrogance et d'autoritarisme. Sa priorité sera le dossier irakien, sur lequel il sera jugé. « Le départ de M. Rumsfeld doit être suivi d'un changement majeur de politique pour pouvoir ramener les troupes américaines à la maison sans laisser derrière elles une catastrophe », écrivait jeudi le New York Times dans un éditorial. De quel type de catastrophe peut-il s'agir ? Les Américains, il est vrai, peuvent rentrer chez eux, jugeant certainement le coût élevé, mais qu'en sera-t-il pour l'Irak ? Et tout d'abord sur cette guerre sur laquelle les démocrates ne se sont pas prononcés. Ils l'ont votée en 2003. Mais est-ce que c'est la guerre qu'ils remettent en cause ou sa conduite ? Le débat à peine esquissé demande à être clarifié. Mais toujours est-il que la catastrophe dont parle le New York Times s'est bel et bien abattue sur l'Irak.