Elle a fait chuter les températures, mais a donné quelques sueurs froides aux Algériens. La dépression bloquée depuis une semaine sur la Méditerranée, responsable des pluies violentes qui se sont abattues sur le nord du pays, devrait se décaler, d'ici la fin de la semaine, vers l'Italie et la Grèce. Entre mercredi et lundi, 90 mm de précipitations sont tombés sur Alger, soit presque autant que la moyenne des pluies de tout le mois de décembre. Des voitures freinées par l'eau qui déborde des avaloirs, de la grêle en plein après-midi et des coups de tonnerre dans la nuit, des piétons piégés par des mares de boue… Encore une fois, l'eau a menacé Alger. Cinq ans après les inondations meurtrières de Bab El Oued, la question se pose : aujourd'hui, est-on capable d'éviter un nouveau novembre 2001 ? Une première chose semble sûre : la catastrophe telle qu'elle s'est produite ne se renouvellera pas. « Le canal qui passe dans le lit de l'oued Koriche (à l'exutoire duquel se trouve Bab El Oued) et les collecteurs qui s'y raccordent pour assurer l'écoulement progressif de l'eau en provenance des deux versants du bassin ont été rouverts, explique un spécialiste au ministère de l'Environnement. Or on sait aujourd'hui que leur obstruction, pour empêcher les terroristes de les occuper, est la principale cause du désastre de 2001. » Par ailleurs, un drain central à ciel ouvert a été aménagé sur les 7 km de boulevard qui mènent de Triolet à Chevalley. « Il mesure plus de 2 m de profondeur et 60 à 80 cm de large, précise Boualem Chetaïbi de la direction des travaux publics. Sa mission : assurer le renfort du drainage par les routes. Il n'y a rien à craindre, l'expérience douloureuse de 2001 ne se reproduira pas. » Mais cette argumentation rassurante est à nuancer par une deuxième certitude : la capitale est, et sera toujours, exposée à des inondations capables d'entraîner d'importants dégâts humains et matériels. Construite sur un réseau d'oueds, entre les montagnes et la mer, la ville se trouve sur le trajet des cours d'eau rejoignant la Méditerranée. « L'urbanisation ne change rien. On aura beau construire sur un lit d'oued asséché et le rayer de la carte ; quand l'eau reprendra ses droits, elle passera par son chemin naturel, au mépris de ce que les hommes ont construit dessus », prévient un ingénieur en hydraulique. Après les événements de 2001, une note technique de l'administration avait déjà dénoncé « l'urbanisation étendue, ces dernières années, aux deux versants du bassin, responsable d'une déforestation favorisant les ruissellements torrentiels et rapides ». Les experts, qui appelaient alors à la plus grande vigilance, n'ont pas été entendus : en cinq ans, les constructions anarchiques se sont multipliées partout dans la ville. « Nous n'avons tiré aucune leçon du drame, s'insurge-t-on au ministère. Les gens continuent à construire n'importe comment, sans respecter aucun règlement. » D'après un architecte urbaniste algérois, il ne ferait pas bon habiter dans certains quartiers comme La Carrière et le boulevard Cervantès à Belcourt ; la partie haute du Ruisseau ; Gué de Constantine ; Leveilley, Oued Ouchayah et La Glacière à Hussein Dey ; Beni Messous ; Oued Medjbar, Frais Vallon et Dar El Keif à Bouzaréah. « Mais on ne peut pas tout raser, prévient Abdelhamid Boudaoud, président du collège national des experts architectes algériens. Il y a plus de 65 000 bâtisses illicites dans toute la wilaya d'Alger. Si on compte deux logements par maison et sept personnes par logement, il faudrait reloger 910 000 personnes ! » Pour l'architecte, il faudrait avant tout régler la question du vieux bâti. Non seulement les maisons mais aussi les réseaux d'assainissement, de câbles téléphoniques et électriques, les routes… « Pourquoi le boulevard des grossistes à Kouba ressemble à une piscine quand il pleut ?, s'interroge-t-il. Qu'est-ce que cela signifie ? Que nous ne sommes pas capables d'entretenir la voirie ? » A la direction des travaux publics, Boualem Chetaïbi se défend. « Avec le service de l'hydraulique, nous réalisons un travail colossal de nettoyage. Une fois par an, à la fin de l'été, nous passons tout le réseau d'assainissement au peigne fin. Et des curages sont effectués tous les jours. Des opérations de pompage sont aussi menées dans les endroits où l'eau stagne. Nous avons mis une pompe au niveau de l'avenue de l'ALN, par exemple. Car on sait que la mer, si elle est agitée, empêche les ruissellements de s'évacuer. Malgré les fortes pluies, et à l'exception de quelques points noirs RN 24 à Bordj El Kiffan coupée en raison des travaux le réseau routier a bien fonctionné. » Au ministère de l'Environnement, un fonctionnaire sourit. « Les agents enlèvent les déchets et ils les laissent à côté des regards. A la première pluie, les détritus reviennent où ils étaient… Tout cela est fait de manière ponctuelle, sur injonction, et pas par souci de faire les choses intelligemment. » Au chapitre de la prévention, l'Office national de météorologie travaille depuis un an et demi sur la mise en place d'un réseau de surveillance des zones urbaines. Courant 2007, une dizaine de stations automatiques chargées de relever des données météo (dont les précipitations) seront installées tout autour d'Alger. Un radar météo est également prévu à Dar El Beida en vue d'émettre des bulletins à courte échéance. « Cela nous permettra de mieux cerner les prévisions à une échelle locale et d'alerter toutes les autorités locales une heure ou deux avant un événement important », précise Abdesselam Chougrani. La théorie est séduisante. La pratique risque de l'être beaucoup moins. La wilaya, interrogée sur le fonctionnement du réseau de surveillance, nous renvoie sur les wilayas déléguées, où, nous dit-on, sont implantés des comités de veille. A celle de Bab El Oued comme à celle de Bouzaréah, personne n'est en mesure de nous répondre. Pourtant, l'administration rentre dans le dispositif d'alerte actionné en amont par l'ONM. « Quand de fortes pluies s'annoncent, nous envoyons des bulletins d'alerte au ministère de l'Intérieur qui transmet à la wilaya, à la Protection civile et à l'Office national d'assainissement », assure-t-il pourtant. « Il faudrait que tous les services travaillent de concert, commente-t-on au ministère de l'Environnement. La Protection civile se prépare à agir dès qu'il y a une alerte, mais elle intervient pour guérir, pas pour prévenir… » A en croire Abdelhamid Boudaoud, président du collège national des experts architectes algériens, la prévention des risques pourrait commencer par une sensibilisation de la population. « Il faut expliquer aux gens que jeter les poubelles n'importe où et entreposer des gravats devant chez eux les met en péril. Les Algériens doivent comprendre que l'Etat ne peut pas résoudre tous leurs problèmes et qu'ils doivent composer avec leur environnement. Pourquoi ne pas les impliquer, suggère-t-il, en leur faisant choisir la couleur de la future bouche de métro construite près de chez eux, en organisant des journées de volontariat dans les écoles où les enfants iraient nettoyer et reboiser, en créant un concours du plus joli quartier sur l'exemple de Bab El Oued… » Bab El Oued, quartier témoin pour la mémoire collective. « Mais attention, prévient un fonctionnaire amené à travailler sur les catastrophes naturelles. Ce n'est pas parce qu'on a réhabilité Bab El Oued qu'Alger est sauvée. Que se passera-t-il si un jour l'eau retrouve le chemin de l'oued du val d'Hydra, bloqué par les deux tours du ministère de l'Energie et la cité Chabani ? » Au ministère de l'Environnement, l'oued El Harrach inspire plus de craintes. « Le sol du val d'Hydra, en tuf, est très stable, donc peu sujet aux éboulements. Ce qui n'est pas le cas de l'oued El Harrach, qui récupère l'eau de l'Atlas. Au milieu des années 70, une crue avait déjà causé des dégâts. Depuis, les berges, autrement dit des zones inondables, ont été complètement urbanisées… »