Le président Bouteflika a coupé court, hier, aux rumeurs présentant le gouvernement sur le point de reculer sur la question de la révision du code de la famille en raison de la pression exercée par les partis islamistes. Lors de son discours prononcé à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire, le chef de l'Etat a qualifié d'« impérative » la révision de ce code. « La révision du code de la famille s'est avérée impérative si nous voulons garantir la stabilité et l'harmonie dans la société et assurer le respect de la chariâ qui reste valable en tout temps, conformément à la tradition des premiers exégètes », a-t-il déclaré. En réponse au discours dans lequel les partis islamistes accusent notamment le gouvernement de vouloir « laïciser » et « occidentaliser » la société à travers la révision du code de la famille, le président de la République a répondu que le projet d'amendement de ce texte de loi est « loin de toute idée de se démarquer de la chariâ » et demeure « en accord avec les grands principes fondamentaux de la Constitution et en harmonie avec les valeurs humaines universelles (...) ». A ceux percevant une « antinomie » entre les amendements proposés au code de la famille et la loi coranique, M. Bouteflika a répliqué qu'« il n'y a pas de contradiction entre la volonté de veiller à sauvegarder nos valeurs culturelles et spirituelles et notre objectif de mettre un terme au déséquilibre et à la précarité de la situation de la femme au regard du code civil et d'assurer la protection de l'enfant en vertu des traités, conventions et accords internationaux signés ou ratifiés par l'Algérie. Il s'agit de les harmoniser avec les principes qui régissent la société algérienne ». Le président de la République, qui confirme ainsi l'intention du gouvernement de peser de tout son poids pour valider ce projet d'amendement, a ajouté que la réforme de la justice « (...) ne saurait se limiter au seul code de la famille ». « Il s'agira plutôt, a-t-il insisté, d'une révision globale qui s'étendra à toutes nos législations afin de les conformer à notre option démocratique et à notre choix idéologique national basé sur le respect des droits de l'homme, la conformité avec nos traditions et avec nous-mêmes. » Et de préciser que le gouvernement œuvre à bannir la fitna et à promouvoir le dialogue, la concorde et la réconciliation. Au titre de la dynamique de mise à niveau des textes de loi indispensables à l'exercice de la fonction judiciaire engagée en 2000, le chef de l'Etat a invité le gouvernement à « poursuivre les efforts en vue de finaliser les chantiers juridiques identifiés par le programme de réforme de la justice ». Pour ce qui est des étapes franchies par la réforme et la modernisation des lois et du secteur de la justice, Abdelaziz Bouteflika a rappelé l'importance du statut de la magistrature et de la loi portant composition, fonctionnement et attribution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), promulgués l'été dernier, en matière de garantie de l'indépendance et de la protection du magistrat. Combattre les lenteurs Le président Bouteflika a réitéré que la justice « doit répondre aux aspirations des citoyens à travers une justice crédible et efficace ». « Le secteur ne peut pas faire face à ses lourdes responsabilités s'il ne résorbe pas concrètement les insuffisances qui entravent une bonne administration de la justice », a-t-il insisté. Pour lui, les transformations qualitatives que requiert la justice sont nécessaires et primordiales dans le sens où celle-ci « représente le plus important vecteur de la bonne gouvernance, cette exigence constante vers laquelle tendent tous nos efforts ». « Une justice bien organisée, correctement rendue par des magistrats compétents sera à même de participer activement à l'œuvre de restauration de l'Etat dans la plénitude de ses missions et de son autorité », a encore déclaré M. Bouteflika. Et de poursuivre que « pour être à la hauteur (...), la justice doit disposer de bons magistrats, de bons textes de lois et d'une bonne organisation de l'activité judiciaire ». Plaidant en faveur de « l'émergence d'un ordre judiciaire plus conforme aux aspirations des citoyens et des pouvoirs publics », le chef de l'Etat a ainsi insisté sur la mise en place d'un système de formation des personnels judiciaires fondé sur « la spécialisation des magistrats dans les différents domaines du droit (...) ». Pour y parvenir, il a recommandé, entre autres, de faire appel au savoir-faire d'institutions nationales et internationales et de formateurs algériens et étrangers afin de « permettre aux magistrats d'intégrer les ordres juridiques internationaux qui s'imposent à nous du fait de notre ratification d'accords et instruments internationaux, de notre adhésion aux institutions internationales et des avancées de la mondialisation vers un monde de plus en plus globalisé ». Dans le but de remédier aux lenteurs caractérisant le fonctionnement de la justice et dues, selon lui, à un déséquilibre entre le nombre de cas à traiter et les moyens humains dont dispose l'institution judiciaire, le président Bouteflika a ordonné de « procéder d'urgence à la formation de nouveaux magistrats ». Cela de telle sorte, a-t-il dit, à accroître de moitié leur nombre dès 2009. Le chef de l'Etat a appelé également à accorder une attention particulière aux professions d'auxiliaires de justice, dont dépend le bon fonctionnement de l'institution judiciaire. Le constat du président de la République sur les lenteurs de la justice a été confirmé par le président de la Cour suprême. Ce dernier a révélé, en effet, que sur les 32 700 pourvois en cassation dont elle a été destinataire en 2003, la Cour suprême n'a pu traiter, faute de moyens humains et matériels, que 17 100 cas. Les nombres de « dossiers » traités en 2002 est de 16 561 sur 26 658. La Cour suprême se retrouve cette année avec 71 943 dossiers sur les bras. La situation au niveau des tribunaux a, en revanche, connu des améliorations. A ce propos, le ministre de la Justice a indiqué que les cours ont atteint un pourcentage de traitement des affaires avoisinant les 80%. Des lois applicables Au-delà des avancées réalisées dans la réforme du secteur, le président de la République, s'appuyant sur l'aveu d'impuissance du président de la Cour suprême, a prévenu qu'il « ne suffit pas de concevoir de nouveaux dispositifs législatifs pertinents et de qualité, mais il faut veiller à leur mise en œuvre, car si l'on ne réfléchit pas correctement à l'applicabilité des textes, la réforme sera vide de sens ». Visiblement irrité par les chiffres donnés par le président de la Cour suprême, M. Bouteflika a déclaré que face à ce genre de situation, « on peut légitimement s'interroger quant à l'intérêt qu'auront les justiciables à introduire des recours dont ils ne verront l'aboutissement que plusieurs années plus tard ». La solution ? Le président n'y va pas avec le dos de la cuillère. Ce problème, additionné aux dysfonctionnements observés dans l'organisation du travail judiciaire doit, a-t-il estimé, « être identifié et faire l'objet de mesures coercitives pour améliorer les prestations judiciaires et susciter la confiance des citoyens envers la justice ». Le premier magistrat du pays a ajouté par ailleurs que les moyens importants mis à la disposition du secteur (le budget de la justice connaîtra durant l'année 2005 une hausse de 15%) ne suffiront pas, à eux seuls, à changer la situation. Pour le changement escompté, il a estimé important que « l'esprit de la réforme traverse tous les corps des magistrats, des avocats, des greffiers, des notaires, des huissiers et des autres auxiliaires de la justice ». Ces derniers, a-t-il martelé, « doivent participer activement à la réforme de la justice, à la sauvegarde des droits des justiciables et à l'exercice correct des missions et des responsabilités qui incombent à chacun des corps qui participent à l'œuvre de justice ». Abordant le rapport entre la justice et la sphère économique, le chef de l'Etat a expliqué que « le développement social de notre pays est tributaire de la révision de l'ensemble des textes juridiques ayant trait à l'investissement et aux transactions ». Dans ce cadre, il soutiendra que la révision projetée « vise à introduire des méthodes et des règles à même de relancer l'activité économique et d'en amplifier les instruments et les mécanismes pour être au diapason du progrès enregistré par l'évolution scientifique et technologique dans le domaine des opérations économiques ». Celle-ci doit, a-t-il encore mentionné, « permettre (...) de lever tous les obstacles juridiques qui se dressent devant l'investissement algérien et étranger dans notre pays ». Dans cette perspective, Bouteflika a mis l'accent sur la nécessité d'« élaborer des projets de textes législatifs visant la promotion du code des affaires et l'avènement d'une justice commerciale à même de stimuler l'investissement national et étranger ».