Les deux bandes vidéo qui ont fourni en quelques minutes des images instantanément et mondialement diffusées sur la pendaison de Saddam Hussein ont suscité un événement médiatique clef de l'actualité, balancé via la télévision et l'Internet.Le produit de la télévision officielle de l'Etat irakien, Irakia, financée par les Etats-Unis, a tenté de donner la version « officielle » de l'exécution ; elle n'a été mise en antenne que quelques heures après sa concurrente. Spectaculaire par son mode opératoire d'intrusion clandestine sur le site de scène, pourtant strictement interdit à d'autres capteurs d'images, la seconde a été réalisée au moyen singulier d'un téléphone portable. Dans les deux mises en scène l'horreur vue a été incommensurable, à des degrés divers ; autant que les règles élémentaires de respect de la vie humaine, même mise à mort, ont été également violées. Un seuil de recherche effrénée de sensationnel pour aguicher à outrance le voyeurisme a été ainsi franchi, au matin même de l'Aïd sunnite, la majorité de la population irakienne étant de rite chiite. Comble d'une autre manipulation, propagandiste classique celle-là qui a son pesant de traditions locales, la mise en scène servie par la vidéo de la télé Irakia a été enrobée de chants patriotiques et d'images à la gloire des monuments et vestiges illustres de l'ancienne Mésopotamie. Aucun autre son n'y a été inclus ; la qualité de sa réalisation a été au top des conditions de fabrication techniques. A la différence de la vidéo du téléphone portable, film d'amateur aux images floues, saccadées mais rendant parfaitement les mots d'échanges hargneux entre Saddam et des membres du rituel morbide d'exécution. Le nom du chef radical chiite Moktada Sadr (dont le père et le fils ont été assassinés par le régime de Saddam) a en particulier été prononcé. Ce contraste annule au premier chef les effets de sérénité accrédités par le montage vidéo de la télévision officielle. Si le mystère demeure sur l'auteur de la vidéo du portable – question pendante essentiellement pour les services américains et irakiens -, l'événement vient amplifier le phénomène de propagation d'enregistrement et de diffusion d'images amateurs sur des faits spectaculaires. La tendance se renforce ainsi de l'intrusion des films amateurs en nouvelle source d'information incontrôlée, tentante par son « exclusivité ». Cette intrusion a été ponctuée, en 1991, via une vidéo de lynchage d'un Noir par la police américaine, et plus récemment les attentats londoniens de juillet 2005. Si des responsables éditoriaux de chaînes de télévision ont eu la précaution d'éthique professionnelle de réduire a minima les images de la vidéo pirate, d'autres en ont fait répercussion à outrance. Ainsi le rédacteur en chef de la chaîne privée info LCI a estimé que : « pour nous journalistes, c'est un nouvel environnement que nous devons prendre en compte. Le problème c'est qu'il n'y a pas de vérification de l'information ni d'éléments de contexte ». De son côté la directrice de l'information de France 2 – qui n'a pas diffusé l'intégralité de la vidéo - résume ainsi la nouvelle donne : « Autrefois le peuple assistait aux exécutions capitales ; aujourd'hui il y a Internet. C'est effrayant. Il y a une différence entre la télévision et Internet. Aller voir une vidéo sur un site relève d'une démarche volontaire. » Spécialiste éclairant des conflits dans le Tiers monde, Gérard Chaliand, au lendemain de la pendaison, confié au quotidien français Le Figaro une tribune intitulée « Le destin shakespearien de Saddam Hussein, dictateur sanguinaire et ambigu ». « Le dictateur qui vient d'être exécuté, écrit-il, après un procès tronqué, avait davantage de sang sur les mains et était moins médiocre que beaucoup d'autres à travers l'histoire contemporaine. Mégalomane comme la plupart, il avait eu ces débuts difficiles qui durcissent à la fois la volonté et la sensibilité, dans un pays qui, par rapport à d‘autres de la région, passait à juste titre pour violent. Pour l'Iran, Israël et George W. Bush comme pour les chiites et les Kurdes, l'exécution de Saddam Hussein est bienvenue. On ne doit cependant pas négliger que pour les sunnites, en Irak, comme ailleurs, il est considéré comme celui qui a défié les Etats-Unis, cherché à renverser un statu quo et s'est voulu comme un champion de l'arabisme. Sa mort parachève le destin qu'il s'est choisi en voulant devenir un héros parmi les siens et un bourreau pour ses victimes. » Antoine Sfeir, directeur de la revue Les Cahiers d'Orient, et auteur du livre Vers l'orient plus compliqué, ajoute de son côté d'autres mots de prospective : « Rien ne va changer si ce n'est que la guerre civile, qui n'en porte pas le nom, va se radicaliser surtout du côté sunnite. N'oublions pas qu'il y avait plus de deux millions de personnes encartées au parti Bass. La violence ne va pas exploser d'un coup, mais elle augmentera selon la même courbe exponentielle qu'aujourd'hui. »