Après « la star », Abdelmoumen Khalifa, Abdelouahab Keramane, ex-gouverneur de la Banque d'Algérie, est le deuxième grand absent du procès sur la caisse principale de la défunte El Khalifa Bank. Lui, son frère, Abdennour Keramane, ancien ministre de l'Industrie, et sa nièce, Yasmine Keramane, ex-responsable de l'antenne italienne du groupe Khalifa, ont décidé de boycotter le procès de Blida. Et, ils le font d'une manière presque ostentatoire. « Nous ne voulons pas être associés au simulacre de justice qui nous a été préparé », ont-ils dénoncé, dans une déclaration remise à la presse, à l'ouverture des audiences, le 8 janvier courant. Qui a « préparé » le « simulacre » et à quel niveau ? Les frères Keramane possèdent-ils des informations que l'opinion nationale ignore ? Ils ont parlé de « considérations politiques » sans trop expliquer les fondements. Hier, dans un dossier remis aux journaux, les frères Keramane ont dénoncé « la multiplication d'affirmations gratuites et orientées » et « les accusations fallacieuses proférées sans aucune preuve », imputables aux témoins et inculpés au procès de Blida. Cela suffit pour jeter une ombre sur les audiences menée par la juge Fatiha Brahimi. Qui a intervenu pour « orienter » les affirmations des uns et des autres ? Depuis le début du procès, la juge n'a pas cessé de parler de « transparence » et a promis d'« aller jusqu'au bout ». Sauf que cette idée de se limiter, comme l'a, implicitement, suggéré le ministre Djamel Ould Abbas, aux noms de personnes citées dans l'ordonnance de renvoi est quelque peu curieuse. En pénal, les procès contradictoires ont cette souveraineté d'aller au-delà des ordonnances de renvoi de l'accusation. Sinon, cela ne sert à rien de juger en audience et de chercher la vérité puisque le juge d'instruction aura tout fait ! Les frères Keramane, eux, n'ont pas hésité à parler de quête de « bouc émissaire ». Ils ont même dressé ce qui ressemble au parfait portait de ce « bouc émissaire ». « Celui, classique, du cadre gestionnaire de l'Etat, sans protection parce que libre de toute allégeance, professionnellement compétent, donc soigneusement choisi pour constituer le nuage de fumée idéal pour dissimuler les véritables responsables », ont-il précisé. Les frères Keramane, qui avaient occupé des postes importants au sein de l'Etat, ne peuvent pas avancer des déclarations légères. Il y va de leur crédibilité et de celle de l'Etat qui les a employés. La manière avec laquelle ils mettent au défi la justice algérienne ouvre -c'est inévitable- la voie à des questions sur la démarche, choisie dès le départ, pour gérer le dossier Khalifa. Ou plutôt pour neutraliser ce qui pouvait être plus qu'un simple scandale financier. L'évidence veut que le procès Khalifa ne soit pas comme les autres. Même si les officiels tendent à le faire dire et même si la télévision d'Etat - qui ne fonctionnent pas sans instruction - a décidé de « boycotter » les audiences, expression d'une probable volonté politique de banaliser le procès, au mépris des règles du service public. Seulement voilà, Abdelwahab Keramane était gouverneur de la Banque d'Algérie durant la période d'essor d'El Khalifa Bank. Il ne pouvait pas, quelles que soient les circonstances, ne pas être au courant des entorses aux règles attribuables au groupe de Abdelmoumen and Co. A-t-il reçu des « ordres » de se taire ? De fermer l'œil ? De faire comme si de rien n'était ? Son audition au procès aurait été d'un grand éclairage sur le cheminement du scandale car la responsabilité de la Banque d'Algérie, qui n'est toujours pas autonome et semble se plaire dans cette situation, est clairement et entièrement engagée. Alors une simple question : à qui profite l'absence de l'ex-gouverneur de la Banque d'Algérie au procès ? Est-il logique dans un système réputé par sa fermeture qu'un gouverneur de banque centrale soit sans « protection » pour craindre la mise à mort judiciaire ? Ou ne sommes-nous pas devant une variante d'un scénario dont le but « stratégique » serait simple à détecter : éviter que des choses dérangeantes soient dites devant les juges et devant la société algérienne. Car, après tout et sans amoindrir de l'importance des propos des uns et des autres, seuls Abdelmoumen Khalifa et Abdelwahab Keramane pouvaient dire ce que les Algériens ont envie d'entendre sur ce qui s'est passé réellement.