Notre pays a fait l'expérience d'une histoire marquée dans le sens du progrès. L'analphabétisme et l'ordre fatalisé de l'ignorance se sont inclinés devant le progrès prodigieux du savoir grâce à l'accès démocratique à l'instruction. L'essor de la scolarisation en quatre décennies a modifié les conditions de vie des Algériens. L'école fut le symbole et l'emblème de cette avancée vers le progrès. C'est dans l'enseignement secondaire et à l'université que se trouve la pratique des trois voies irremplaçables, à savoir l'acquisition des humanités, du savoir scientifique et du savoir-faire technique et technologique. C'est dans les lycées d'enseignement général et technique et dans une université ouverte à la recherche que s'acquièrent les compétences irremplaçables pour la formation des jeunes Algériens et que se trouvent aussi les réponses aux évolutions rapides des savoirs. S'il est vrai, Monsieur le Ministre, qu'il faut réformer l'école algérienne, il faut le faire avec lucidité et sans précipitation, pour ne pas faire de notre pays un terrain d'expérimentation de politiques éducatives clés en main qui sont à l'origine des dysfonctionnements que connaît l'école algérienne. S'il est aussi vrai Monsieur le Ministre qu'il faut s'adapter à certaines évolutions nécessaires du savoir scientifique, technique et technologique, comme le préconisent beaucoup d'enseignants, il faut rappeler avec fermeté que l'exclusion des véritables acteurs sur le terrain risque de déposséder le système éducatif du monopole de validation des connaissances. Dans ce contexte, la restructuration du secondaire a réduit l'offre pédagogique dans l'enseignement technique et s'apprête à fermer tous les ateliers. Le ministère de l'Education nationale négocie aujourd'hui non seulement le transfert des enseignants du technique mais aussi des lycées techniques à la formation professionnelle. Le plan de démantèlement des lycées techniques que vous avez annoncé dans une de vos récentes déclarations participe, à notre sens, à une entreprise de désengagement de l'Etat et donc du ministère de l'Education de ses missions publiques. Cette mesure est grave non pas parce que les enseignants vont être transférés au secteur de la formation professionnelle, mais parce que cette opération prépare l'amputation d'un pan de l'enseignement secondaire, à savoir l'enseignement technique. Nous ne pouvons pas, Monsieur le Ministre, rester neutres ou indifférents face au démantèlement des lycées techniques, à la suppression de 50% des filières techniques et à l'extinction insidieuse de la voie technologique dans une polyvalence au rabais. Nous ne pouvons accepter des décisions prises par des comités et des commissions entre deux réunions et de façon opaque, sans considération pour les milliers d'enseignants qui sont au cœur du système éducatif qu'on veut aujourd'hui dévitaliser pour programmer ensuite son démantèlement. Nous ne pouvons accepter ce mode d'exercice de la décision qui élude le débat démocratique avec les acteurs sur le terrain et contourne les institutions par une orientation scolaire non formalisée légalement. Nous ne pouvons accepter pour notre jeune nation une professionnalisation rampante de l'université qu'on éloigne de la recherche appliquée et de l'innovation technologique. Nous ne pouvons nous taire quand le ministère de l'Education nationale gère de façon patrimoniale notre destin et celui de millions de jeunes Algériens. Croire que l'on peut limiter la spécialisation seulement à l'université dans des LMD professionnels à la fin des 5e et 6e semestres comme cela a été proposé dans les universités, c'est entrer dans une logique où les cadres de maîtrise, dont a besoin le pays, seront importés et nos ressources humaines marginalisées. Croire aujourd'hui que la priorité est à la formation professionnelle par la sélection précoce en 10e année scolaire, et en multipliant les barrières de sélection pour diminuer le coût de la formation d'un élève et faire semblant qu'on lutte contre la déperdition scolaire est une illusion ! La sélection précoce des jeunes des milieux populaires vers uniquement la formation professionnelle est une politique de courte vue quand tout concourt à la désindustrialisation, la déscolarisation et le désengagement de l'Etat du service public Cette situation grave entraînera une extinction des compétences dont a besoin notre pays et rendra irrémédiable notre dépendance économique. La rencontre nationale des lycées techniques et technicums est une première initiative pour faire comprendre à l'opinion publique et à la société le danger de la suppression des filières techniques, des lycées techniques et des technicums. Nous vous demandons, Monsieur le ministre de l'Education nationale, de recevoir une délégation dans les plus brefs délais pour le dépôt des recommandations de la rencontre nationale. Nous voulons être entendus et nos recommandations examinées, car notre seul souci est de sauvegarder les lycées techniques, technicums, l'enseignement technique et préserver l'avenir des jeunes Algériens. A défaut d'être entendus, nous serons, Monsieur le ministre, dans l'obligation, pour nous faire entendre, d'appeler à un large mouvement de mobilisation autour de la plate-forme suivante : 1/ Abandon du plan de démantèlement des lycées techniques et technicums et le maintien en place des équipes pédagogiques et du patrimoine matériel. 2/ Ouverture du dialogue sur des perspectives pour un enseignement technologique et technique rénové et de qualité. Dans l'attente de l'ouverture d'un dialogue autour de nos préoccupations, veuillez croire, Monsieur le ministre de l'Education nationale, à notre plus haute considération. CNLT Alger, le 23 décembre 2006