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Jeunes d'Alger et rêves d'immigration, entre désespoir et révolte
« Pourtant, on ne demande pas la lune »
Publié dans El Watan le 21 - 01 - 2007

Halim le chauffeur de taxi ne cesse depuis deux jours de faire des rondes aux abords de l'entrée du port d'Alger. Il cherche son fils de 17 ans, Rabah, qui a fugué — pour la troisième fois — du domicile familial sis à Kouba, au quartier Garidi I. « Je l'ai aperçu hier soir alors que je passais par hasard du côté de l'enceinte du port.
Il avait mis une sorte de foulard pour cacher son visage, mais il s'est enfui dès que je l'ai vu », raconte Halim, dont une partie de l'attention est braquée sur les parages du terminal des voyageurs. Son fils a quitté le lycée, refuse de s'inscrire dans un centre de formation professionnelle et passe la majeure partie de ses journées à « traîner avec ses copains du quartier aux abords du port pour tenter de glisser à l'intérieur de l'enceinte ». « Avec ses copains, il ne rêve que de cela », lâche Halim, le père. « Pourtant, je lui ai proposé de lui trouver un petit boulot chez des cousins qui ont des commerces, mais il ne veut rien entendre », ajoute le chauffeur de taxi qui finit par lancer une courte prière, les larmes aux yeux, pour que son fils retrouve « le droit chemin ». Ils sont ainsi légion, ces jeunes, adolescents, garçons surtout, mais aussi des filles, qui rêvent de « h'rig », de « brûler les frontières ». « Plutôt que de se consumer ici comme une bougie », lâche un des jeunes rencontrés ex-place Trois Horloges à Bab El Oued, non loin du « marché » informel des téléphones et des appareils photo numériques. « Nous voulons y aller par mer, en achetant le visa, en se mariant avec une étrangère. Partir, c'est tout ! A n'importe quel prix », lancent ces jeunes dont la plupart ont quitté les bancs de l'école avant d'arriver au bac. Sur les six rencontrés, cinq vendent des vêtements « à la sauvette » sur les trottoirs de la rue Bab Azzoun à la Grande Poste. Le dernier aide un grand frère qui possède un taxiphone à Bologhine. « J'ai des amis qui sont partis à partir de l'ouest, l'Espagne puis Marseille, où ils ont rejoint d'autres enfants du quartier », dit Amin. « Oui, mais souvent, c'est le loto de ta vie : la mer ne pardonne pas. Il faut du courage et les bonnes prières des parents pour arriver là-bas », renchérit Réda.
« Victimes des vieux… »
Pensent-ils sérieusement aux risques d'une traversée périlleuse et d'une vie clandestine ? « Et ici, c'est pas risqué ?! Tu sais combien de fois la police m'a saisi la marchandise ? Je ne gagne pas des milliards, moi, et je perds tout mon argent en plus des dettes à chaque fois que la police décide, comme ça, d'une rafle », fulmine encre Amin. A ses yeux, « les jeunes qui partent au péril de leur vie sont des victimes des vieux qui tiennent tout et qui ne comprennent rien ». « On ne veut pas la lune ! Juste une situation, vivre honnêtement, fonder un foyer comme le veut Dieu. Mais eux, ‘‘el houkouma'' (le gouvernement, les autorités), ne laissent personne d'autre vivre. Y en a que pour eux », ajoute un voisin à lui qui, pêle-mêle, accuse l'APC de Bab El Oued, les commissariats de police d'Alger, les généraux, le service technique communal qui distribue des projets, l'ANSEJ, etc. « Nous, on vit à huit dans un F2 près de Triolet et je vois des jeunes en 4x4 Touareg avec des filles claquant du fric comme ça ! Et tu veux que je reste ici ?! », dit Amin. « Si je pouvais, je partirais à la première occasion », annonce Farid, 28 ans, le plus âgé du groupe, vendeur de vêtements sur les trottoirs de Bab Azzoun, « mais voilà, ma mère est seule et âgée, toutes mes sœurs sont mariées et je n'ai pas de frères. Mon père est retraité de la RSTA (chauffeur de bus). Ils n'ont personne à part moi. Je ne pense même pas au mariage car qui donnera sa fille à un gars qui ne sait pas combien il gagnera demain ». « J'ai un voisin qui est parti il y trois ans à Marseille par Almeria. Il appelle ses amis du quartier de temps en temps : il est toujours sans papiers, mais il dort dans des refuges, parfois à l'église, il travaille au noir et envoie par d'autres amis un peu d'argent à ses frères pour monter une épicerie. Ils l'ont fait », raconte Amin en rêvant du précaire « success story ». « Mais c'est vrai que je préfère vivre dans mon pays avec mes papiers et ma dignité, mais ‘‘ils'' ne nous ont pas laissé le choix. ‘‘Ils'' nous taxent même l'air qu'on respire. Krahna ! », lance Mourad, 23 ans, sans travail, qui a quitté le lycée en première année.
« Même les enfants de généraux ! »
Mais l'attrait de l'immigration ne semble pas concerner seulement cette frange de la jeunesse algérienne : les comptes rendus des arrestations de « harraga » renseignent sur ces cas de cadres, universitaires, quadragénaires qui veulent tenter la grande évasion périlleuse. Constat vérifié du côté de la Fac centrale à Alger. « Je sais bien ce qui m'attend ! Le diplôme puis le chômage et les autres qui ne se sont pas cassés la tête, ils se retrouvent à la tête d'affaires juteuses », lâche avec dépit Marwan, première année de médecine. « Immigrer ? Bien sûr que j'y pense. Est-ce qu'il y a un jeune qui n'y pense pas ?! Même les enfants de généraux y pensent. Car en Algérie, même avec ton argent tu ne vis pas bien. Mon frère est à Londres et travaille dans une pizzeria. Il a fait technicien supérieur en santé. En vain. A Londres, il gagne trois fois ce qu'il pouvait gagner ici. Peut-être que je vais le suivre », ajoute Marwan. Amina, 22 ans, étudiante en langue arabe, trouve « dramatiques » les histoires de « harraga » retrouvés parfois morts en pleine mer, mais à ses yeux elle comprend. « Mes parents sont enseignants à l'université et j'ai trois frères encore en scolarisation. On n'arrive pas à joindre les deux bouts chaque fin de mois. Je ne vais pas tenter de partir en Europe sur des radeaux, mais à la première bonne occasion, au revoir et ciao », dit-elle encore. Lila, deuxième année en commerce à l'Ecole supérieure sise à Tafourah, nourrit d'autres espoirs : « Ma sœur a fait ses études de commerce international à Paris puis elle est rentrée. Tout le monde l'a qualifiée de folle. Mais depuis, elle a monté avec des amis à elle une boîte de consulting depuis deux ans. Elle ne gagne pas des milliards, mais elle arrive à bien vivre de son activité. Et surtout, le plus important est que mes parents l'ont toujours encouragée à prendre l'initiative et ont toujours respecté nos choix. » Lila veut suivre l'exemple de sa sœur aînée.


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