Le directeur de la publication marocaine Le Journal Hebdomadaire, Aboubakr Jamaï, 39 ans, influent journaliste critique envers le roi du Maroc Mohammed VI, a annoncé jeudi dernier qu'il démissionnait en raison des pressions du gouvernement. Il envisage de s'exiler à l'étranger avec sa famille, a-t-il déclaré à l'agence Associated Press (AP). La démission d'Aboubakr Jamaï s'est imposée, précise un communiqué de l'ONG Reporters sans frontières (RSF), comme l'unique solution pour soulager le journal d'une amende qu'il n'est pas en mesure de régler. Condamné à titre personnel, en avril 2006, pour « diffamation », le journaliste ne dispose pas des fonds nécessaires pour payer la somme exigée. Les autorités auraient pu, par conséquent, saisir les fonds et les biens du journal, le conduisant à une mort certaine. Joint par RSF, Aboubakr Jamaï a indiqué que son unique motivation était la continuité du journal. « Rester directeur et donc responsable légal du Journal Hebdomadaire signifie mettre en danger sa survie. Cette menace n'est pas hypothétique puisqu'elle s'est déjà matérialisée en 2004, lorsque les autorités avaient procédé à la vente des biens du journal et saisi ses fonds directement auprès de la société de distribution Sapress, suite à une première condamnation judiciaire », a déclaré le journaliste. Le mois dernier, le ministère de la Justice a condamné M. Jamaï et l'ancien journaliste du Journal Hebdomadaire, Fahd Iraqi, à payer 3 millions de dirhams (270 000€, 349 000 US$), ce qui représente la plus lourde amende de l'histoire du Maroc. Le gouvernement a assuré que les poursuites visant Aboubakr Jamaï n'étaient pas destinées à couler l'hebdomadaire. L'ex-directeur, qui sera remplacé par le cofondateur du journal, Ali Amar, n'a pas l'intention de continuer d'écrire dans la publication depuis l'étranger car il estime que cela reviendrait à aider le gouvernement « à faire croire aux gens qu'il y a une vraie liberté de la presse dans ce pays ». Créé en 1997, Le Journal Hebdomadaire, qui n'a cessé de briser les tabous et de repousser les lignes rouges du palais, a été l'objet de fréquentes attaques. Rien n'aura été épargné à la rédaction au cours de toutes ces années : contrôle fiscal zélé, boycott publicitaire ou encore poursuites judiciaires en série. Dernier exemple en date : la campagne publicitaire pour un nouvel opérateur téléphonique du royaume a été annulée en janvier 2007, alors que Le Journal Hebdomadaire avait déjà reçu le bon de commande et inséré un premier encart dans sa dernière édition. En guise d'explication, l'opérateur dit avoir reçu des « instructions ». Pour RSF, qui a fait part sur son site web de sa « consternation », la démission d'Aboubakr Jamaï vient « confirmer une détérioration notable de la liberté de la presse au Maroc ». Cela « marque la fin d'une époque où, malgré les difficultés, il semblait possible de faire progresser la liberté d'expression. Aujourd'hui, cet espoir, s'il n'a pas totalement disparu, est de plus en plus ténu ». Pour rappel, le tribunal de première instance de Casablanca a condamné, le 15 janvier 2007, le directeur de publication de l'hebdomadaire arabophone Nichane (lancé en septembre 2006), Driss Ksikes, et la journaliste Sanaa Elaji à trois ans de prison avec sursis et à une amende de 80 000 dirhams (l'équivalent de 7200 euros). L'hebdomadaire a, par ailleurs, été condamné à deux mois de suspension. Le gouvernement marocain avait pris la décision, le 20 décembre 2006, d'interdire Nichane plus de dix jours après la sortie de l'édition n°91 du 9-15 décembre comprenant un dossier intitulé « Blagues : comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la politique ». Le parquet de Casablanca avait, par la suite, décidé de poursuivre le directeur de publication et la journaliste auteur de l'article pour « atteinte à la religion islamique » et « publication et distribution d'écrits contraires à la morale et aux mœurs ». Le Maroc, par ailleurs, s'apprête à légiférer sur une nouvelle loi sur l'information.