Qu'elle était belle l'expression affichée, hier, selon laquelle il n'y avait aucun perdant dans les élections législatives de dimanche en Serbie. Une bien belle manière de souligner l'impasse ou encore l'embarras des Serbes. Fallait-il pour eux aller de l'avant sans donner de frayeurs aux Européens ou alors s'enfoncer dans un strict nationalisme ? En fait, les élections de dimanche ont donné les deux à la fois. La presse de Belgrade, qui en a tiré les conséquences, titrait hier sur la victoire des ultra-nationalistes, tout en soulignant que le pouvoir reviendrait sans doute aux partis pro-européens qui disposent ensemble, à condition de trouver un accord, d'une confortable majorité. « Tout le monde a gagné », résume Vecernje Novosti, qui s'interroge : « qui fera partie du gouvernement ? » Pas de bouteille à moitié pleine pour le président réformateur serbe, Boris Tadic, qui s'est félicité le soir du score réalisé par l'ensemble des partis pro-européens même si les ultra-nationalistes sont arrivés en tête. « Ensemble, les partis pro-européens ont remporté la majorité », a dit M. Tadic. Les ultra-nationalistes du Parti radical (SRS) sont arrivés en tête mais avec un nombre de voix inférieur au total de celles recueillies par le DS, le Parti démocratique de Serbie (DSS) du Premier ministre Vojislav Kostunica et d'autres formations pro-européennes. Le SRS avec 28,5 % des voix devance le DS, crédité de 22,9 % et le DSS qui obtiendrait 17%. « Je suis sûr que le DS a pris une position de leader au sein du bloc démocratique et qu'il commencera des négociations (pour former une coalition) en demandant le poste de Premier ministre », a dit M. Tadic. « Nous sommes prêts à une coalition avec le DSS. Nous sommes le parti de la main tendue », a-t-il ajouté. « Nous sommes ouverts et attendons de tous les partis qu'ils soient responsables », a déclaré de son côté M. Kostunica, tout en se félicitant également du score réalisé par son parti. « En ce qui concerne le gouvernement, c'est au président de trouver un homme qui représente la majorité parlementaire », a-t-il dit. Une question qui ne concerne a priori que les Serbes, mais l'Europe attentive à la situation dans les Balkans, y est fortement intéressée. Ses chefs de diplomatie devaient lui consacrer leur réunion d'hier. Ils le feront avec embarras, eux qui espéraient une progression des forces démocratiques. Les 27 n'avaient pas caché qu'ils souhaitaient l'arrivée d'une coalition démocratique pro-européenne, qui leur faciliterait les pourparlers sur un rapprochement UE-Serbie comme sur l'avenir de la province indépendantiste du Kosovo. Les Européens voudraient tendre la main à Belgrade. Ils estiment qu'un rapprochement avec la Serbie — gelé depuis mai — ainsi qu'une réponse aux aspirations indépendantistes de la population à 88% albanaise du Kosovo sont cruciaux pour la stabilité des pays des Balkans, désormais entourés d'Etats membres de l'UE. L'UE a cessé toute négociation avec Belgrade sur un accord de stabilisation et d'association, première étape vers une adhésion au bloc européen. Elle a fait d'une « pleine coopération » avec le TPI, la condition pour reprendre les pourparlers. Mais si un gouvernement démocratique sortait des élections de ce dimanche, elle pourrait assouplir sa position et se contenter d'un « engagement clair » du nouveau gouvernement accompagné de « mesures concrètes et substantielles », a indiqué le commissaire européen à l'Elargissement Olli Rehn. Cet assouplissement semblait néanmoins exclu hier. Il faudra attendre la réunion des ministres le 12 février, lorsque le gouvernement devrait avoir été formé, pour « y voir plus clair », selon un diplomate européen. Ils auront aussi ce jour-là des options claires pour le Kosovo, puisque l'émissaire de l'Onu pour la province, Martti Ahtisaari, aura d'ici là présenté ses propositions. La quête d'un statut pour le Kosovo, comme la reprise du rapprochement UE-Serbie, sont deux problèmes étroitement dépendants des résultats des élections serbes, soulignent les diplomates européens. Ils veulent aussi désamorcer une possible opposition de la Russie – traditionnelle alliée des Serbes opposés à toute indépendance du Kosovo – qui empêcherait un accord au Conseil de sécurité de l'Onu, auquel reviendra la décision finale. Du coup, « de longues négociations » sont prévisibles avec Belgrade et Pristina après la présentation officielle, attendue le 2 février, des propositions de M. Ahtisaari, selon des diplomates européens. Certains Etats membres « seraient tentés de donner à la Serbie plus de temps, alors que d'autres, membres du Groupe de Contact (sur le Kosovo) ont tendance à penser que la Serbie ne voudra jamais négocier », explique un diplomate européen. Dès vendredi, soit cinq jours après les élections serbes, les pays du Groupe de contact – Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Etats-Unis et Russie – se réuniront à Vienne, où ils devraient entendre en avant-première les propositions de M. Ahtisaari. C'est là justement où intervient toute la complexité du paysage politique serbe avec une nette frontière entre ceux qui en veulent à tous ceux qui ont poussé à l'éclatement de l'ancienne fédération yougoslave et ceux qui en ont pris acte, ne manquant pas au passage de mettre en cause la gestion, voire l'aventurisme de certains de leurs dirigeants.