Le procès Khalifa a repris hier au tribunal criminel de Blida, avec l'audition du témoin Signi Mahieddine, adjoint du directeur de l'agence d'El Harrach. Appelé à la barre, le témoin use de subterfuges pour éviter de donner des réponses précises à toutes les questions de la présidente. Souvent, il fallait pour la magistrate recourir aux questions pièges pour pouvoir lui arracher des vérités qu'il a pourtant révélées au juge d'instruction et sur lesquelles il est revenu à l'audience. Licencié en sciences financières, Signi Mahieddine a exercé pendant longtemps à la Banque nationale d'Algérie (BNA), où il était chargé du commerce extérieur, puis à la Caisse nationale de la mutuelle agricole (CNMA) avant de rejoindre El Khalifa Bank en octobre 2001, en tant que directeur adjoint de l'agence d'El Harrach, pour un salaire de 42 000 DA. Il ne cesse de préciser à la présidente que sa spécialité est la bourse et qu'il n'a rien à voir avec l'exploitation. Mais vous étiez directeur adjoint, donc vous remplaciez Aziz Djamel lorsqu'il était absent », fait remarquer la juge. Celle-ci l'interroge alors sur les sociétés qu'il a eu à contacter pour le compte d'El Khalifa Bank. Le témoin en cite quelques-unes : la CNAC, la Cagex, la CCR, l'Enap, la Cossob, l'ENCG de Bouira, l'Entp Hassi Messaoud, l'Enaorg... « Que leur proposiez-vous ? », demande la magistrate. Le témoin : « Des offres commerciales. » La juge : « Lesquelles ? » Le témoin : « Le placement des fonds de ces sociétés à El Khalifa Bank. » La magistrate : « Encore ? ». Le témoin fait mine de ne rien comprendre. « Je sais que vous savez tout », lance-t-elle. Le témoin : « Nous leur offrions tous les services qui existent à la banque, tels que les cartes de paiement, les crédits, les taux d'intérêt des placements, etc. » La présidente : « Les cartes de thalassothérapie... », ajoute la magistrate. Le témoin semble gêné. « C'est le dossier de sponsoring. Il a atterri sur mon bureau. Je n'ai pas participé aux négociations. » La magistrate rappelle au témoin que les patrons des sociétés publiques ont affirmé que les formulaires qu'ils ont remplis pour l'obtention de ces cartes ont été récupérés à son niveau. « Je leur donnais tout un dossier avec un catalogue et un formulaire. Ceci entrait dans le cadre de la convention de sponsoring. Celle-ci stipule que le groupe finance à hauteur de 2,5 millions de dinars l'achat d'équipements pour le centre de thalassothérapie, en contrepartie de la mise à disposition par ce dernier de trois locaux, pour Khalifa Airways, KRC et un point cash pour les retraits. » La présidente somme le témoin de revenir aux cartes de thalasso. « Le client de Khalifa donnait sa photo et vous lui faisiez la carte… », dit-elle. Signi ne veut rien entendre : « Je ne lui faisais pas de carte. Je lui donnais juste le formulaire à remplir que je remettais au directeur. Ce sont des clients que j'ai contactés par écrit. J'ai envoyé des lettres avec des offres et beaucoup d'entre eux ont répondu. » La juge, pour mettre un terme aux tergiversations du témoin, va droit au but. « Qui a remis sa carte au PDG de l'Encg de Bouira ? » Le témoin : « Je lui ai remis un formulaire et le catalogue du centre. » Il déclare ne pas se rappeler de la partie qui prenait en charge financièrement les prestations de service au thalasso. La juge : « Qui est Hassini Mohamed Cherif ? » Le témoin : « Le directeur financier de l'Enag. Je lui ai remis une carte pour le PDG. » La présidente : « Smati Bahidj ? » Le témoin : « Le PDG de l'Enaorg, je lui ai remis un imprimé qu'il a rempli. ». La présidente cite encore Hafiane Mohamed Yassine, PDG de CCR (haut site de Hydra), Berrah Abdelhakim, PDG de Cagex, Deboub Youcef, secrétaire général de la Cossob, Sadmi Ali, PDG de la Cossob, Adjouaout Lounès, directeur financier de l'Entp Hassi Messaoud, qui ont tous bénéficié de la carte d'abonnement d'une année pour des soins de remise en forme au thalasso, remises par Signi. Les avantages accordés aux bons clients La présidente interroge le témoin sur le cas de Lakhdar Aziz, le frère de Djamel Aziz, directeur de l'agence d'El Harrach. « Que fait-il sur la liste, lui qui n'est pas client de la banque ? » Le témoin : « Je ne sais pas. Parfois c'est mon directeur qui donne les noms. » Il persiste à affirmer que ces avantages sont accordés aux clients de la banque. La présidente revient sur le point lié au PDG de Digromed, Yacine Ahmed. Pour le témoin, il s'agit d'un grand client d'El Khalifa Bank, qui a fait un placement dont il dit ne pas se rappeler au début mais finit par lâcher : « 365 millions de dinars. » Signi déclare ne pas se souvenir du montant retiré par le patron quelque temps après le dépôt de la somme. Abordant la question des taux accordés pour les placements, il étonne l'assistance en disant ignorer totalement ces taux. Acculé, il lâche : « Ces taux étaient situés entre 11% et 12%, selon le montant et la durée du placement. Lorsque les montants étaient importants, c'était la direction générale qui décidait des taux. » La présidente l'interroge sur le seuil maximum. Le témoin : « En Algérie, il n'y a pas de référence, mais je pense que c'était 10%. » La présidente conteste et lui fait savoir que le taux pratiqué par l'agence a même dépassé les 14%. La magistrate revient à la liste des bénéficiaires des cartes de thalasso. « Qui décide des noms à mettre sur cette liste ? » Le témoin : « Ce sont des clients privés et étatiques pris au hasard. Il n'y avait pas de clients plus importants que d'autres. » La présidente fait remarquer que la liste comporte des noms qui n'ont pas de compte à la banque, tels que Lakhdar Aziz, le frère du directeur de l'agence. La juge : « Smati Bahidj avait-il un compte ? » Le témoin : « Il avait fait un placement. » La magistrate : « Ali Aoun, PDG de Saidal, n'avait pas de compte et il se trouve en première position sur la liste. » Le témoin : « Il avait un compte courant de Saidal. » La présidente : « Qui étaient considérés comme les meilleurs clients ? » Le témoin : « Ils étaient tous de bons clients. Il n'y avait pas de différence. » La magistrate : « Pourtant, ce sont les patrons qui profitent des prestations de thalasso, pas les sociétés. » Signi, après avoir évité à plusieurs reprises la réponse, finit par déclarer : « Lorsqu'on fait un placement, automatiquement on ouvre un compte pour le dépôt à terme et un compte courant pour le versement des intérêts. Ce dernier est au nom de la personne morale. Mais il arrive parfois que ceux qui plaçaient l'argent nous demandent de verser les intérêts dans d'autres comptes domiciliés dans d'autres banques. » La magistrate : « Intéressant ! Ahmed Yacine de Digromed a déposé 136 millions de dinars. Comment cela s'est passé après ? » Le témoin se ressaisit et se rétracte. Il déclare : « Normal. Il a placé l'argent et ouvert un compte courant ». La présidente : « Il a par la suite retiré 20 millions de dinars et les intérêts versés au compte courant. » Le témoin : « Je ne sais pas. Je ne veux pas me tromper. » La présidente fait signaler à Signi qu'il était chargé du contact avec les sociétés publiques et qu'à ce titre il était parfaitement au courant des offres de Khalifa. Mais le témoin persiste à affirmer qu'il ne savait rien. Il adopte la même position avec le procureur général, lequel fait tout pour le piéger et le pousser à se contredire. Il déclare ne pas savoir quel est le responsable qui a signé la convention, mais reconnaît avoir été informé par son directeur. Sur la question des taux d'intérêts appliqués aux placements, il revient sur ses propos et avance un taux de 10%, ce qui pousse le procureur général à demander : « Est-ce que sur les conventions il était noté un taux de 11% et, réellement, les patrons des sociétés touchaient 13%. Les 2% restants sont pris en dehors des écrits ? » Le témoin : « Impossible ! » A propos du taux de 2% accordé dans le cadre de l'octroi de crédits, Signi affirme ne pas être au courant. Appelé à donner le nom de quelques sociétés qui ont fait des placements importants, il cite la Cnas, 10 milliards de dinars, et la Cossob, dont il a oublié le montant. Me Meziane, avocat d'El Khalifa Bank liquidation, interroge le témoin si les responsables portés sur la liste des bénéficiaires des cartes de thalasso dans le cadre du sponsoring étaient détenteurs de comptes à El Khalifa Bank. « C'est une liste des clients de Khalifa que j'ai pu avoir sur le fichier informatique. Certains ont été retenus d'autres non », dit-il. Il précise qu'en général, il s'agit de personnes morales, les privés ne viennent pas pour les placements, mais plutôt pour les crédits. L'avocat du patron de l'ENCG le confond en affirmant que devant le tribunal il a déclaré qu'il a commencé à Khalifa en octobre 2001, alors qu'il s'est présenté démarcheur de cette banque auprès de son mandant en janvier 2001. Le témoin persiste à déclarer ne pas se rappeler des nombreux noms qu'il a lui-même portés sur la liste et surtout pourquoi certaines de ces sociétés ont bénéficié de deux cartes comme la Cnan (une pour le PDG et l'autre pour le directeur financier). La présidente appelle Aziz Djamel, ancien directeur de l'agence d'El Harrach. « Peut-on se rappeler des salés et pas du méchoui ? » Devant la barre, l'accusé continue d'adopter la position consistant à nier tout en bloc. Même après être confronté et confondu par ses anciens collègues. La présidente l'interroge sur la « réception » organisée à l'occasion de l'ouverture de l'extension de l'agence d'El Harrach. L'accusé déclare se rappeler qu'il avait offert des « petits salés » pour les travailleurs. « Vous vous rappelez des petits salés et pas des méchouis ? », lance la présidente. L'accusé : « Je ne me rappelle pas. » La juge l'interroge sur les invités qui étaient présents. Djamel Aziz : « Je ne me rappelle pas combien il y avait de personnes, mais je peux vous dire qu'il y avait le PDG Abdelmoumen Khalifa. » La présidente poursuit : « Et Nanouche, Ghazi Kebbach... » L'accusé : « Je ne me rappelle pas. » Elle lui demande qui a financé cette réception, et là aussi, il dit ne pas se souvenir. La présidente : « C'est vous qui avez organisé la réception, comment vous ne vous rappelez pas ? » L'accusé : « C'était une réception inopinée. » La présidente : « Des méchouis inopinés ? Reprenez votre place. » Contrariée, elle appelle à la barre Réda Abdelwahab pour une confrontation, auquel elle déclare être sûre que lui dira la vérité. Garde rapproché de Abdelmoumen, accusé lui aussi dans l'affaire, il affirme avoir accompagné ce jour-là son PDG à la réception, où il y avait tout au plus une trentaine de personnes, dont des personnes étrangères au groupe. Le PDG, dit-il, est resté un moment avec le staff avant de rejoindre l'endroit où il y avait les deux méchouis. « Cela s'est passé dans l'extension de l'agence. C'était à l'occasion de son ouverture. La réception a été organisée par la direction de l'agence », explique l'accusé. La présidente appelle Djamel Zerrouk à la barre. A une question précise concernant une facture de 200 000 DA, qui a coïncidé avec un mariage à l'hôtel El Amir à Chéraga le 19 juillet 2001. « Impossible. Je n'ai jamais reçu ce montant et jamais mis les pieds dans cet hôtel. » Elle lui demande de reprendre sa place, avant d'appeler Larbi Salim à la barre. Ancien chef de cabine à Air Algérie, de 1993 et 1999, il a rejoint Khalifa Airways en 1999 « après le ras-le-bol ressenti » à Air Algérie, à Constantine, où il était affecté et ne pouvait plus revenir sur Alger où il réside. D'un salaire de 28 000 DA, à son ancienne compagnie, il passe à celui de 45 000 jusqu'à atteindre 60 000 DA après sa désignation en tant que chef de cabine. La présidente lui demande d'expliquer comment il a bénéficié des deux montants de 450 000 DA et 1,5 million de dinars. L'accusé raconte que le premier montant, il l'avait demandé à la direction des ressources de Khalifa Airways qui le lui avait accordé et remboursé par la suite avec des retraits sur son salaire. « C'était en septembre 2001. Après la mort de mon père, j'ai eu beaucoup de problèmes. J'avais besoin d'un autre montant de plus d'un million de dinars. J'ai été voir Djamel Zerrouk, mon responsable, il m'a expliqué que pour cette somme, il n'y avait que le PDG qui pouvait décider. J'ai profité d'un vol Alger-Marseille, à bord duquel se trouvait le PDG, je lui en ai parlé. Il a donné son accord. Il m'a dit de me présenter à l'agence d'El Harrach. Ce que j'ai fait quelques jours plus tard. J'ai vu avec le directeur de l'agence, il a appelé le PDG devant moi qui lui a donné instruction pour verser une somme de 1,5 million de dinars. Il m'a remis un chèque de banque. » La présidente l'interroge sur les garanties ou tout autre document qu'il aurait pu présenter pour ce prêt. L'accusé affirme que personne ne lui a exigé quoi que ce soit. Il précise qu'à El Harrach, il n'avait pas de compte, puisque tout le personnel de Khalifa Airways avait un compte à Rouiba. Il a donc soldé ce dernier par la suite pour garder celui d'El Harrach. Le procureur général l'interroge sur son lieu de résidence. « Avant, j'habitais à Kouba, j'ai vendu pour acheter à Birkhadem. C'est pour terminer la construction que j'ai demandé un prêt des 45 000 DA », explique l'accusé. Le ministère public demande si ce n'est pas Dahmani, son collègue, qui l'a encouragé à aller demander un deuxième prêt. Salim Larbi : « Je ne l'ai su qu'après. J'ai remboursé les 45 000 DA. » Le procureur général fait savoir qu'il lui reste encore une somme de 125 000 DA. La présidente appelle par la suite Dahmani Noureddine, directeur du personnel à Khalifa Airways. Il était chef de cabine à Air Algérie de 1980 à 1999, date à laquelle il a rejoint Khalifa, passant d'un salaire de 32 000 DA à 100 000 DA. L'accusé raconte qu'il avait des problèmes qui l'ont poussé à s'absenter pendant plus d'une semaine. C'est le PDG en personne qui lors du vol qui l'emmenait à Philadelphie, aux Etats-Unis, qui l'avait interpellé pour connaître les raisons de son absence. « Lorsque je lui raconté mes problèmes financiers, il m'a demandé la somme dont j'avais besoin. Je lui ai dit un peu plus d'un million de dinars, il m'a dirigé vers l'agence d'El Harrach. Dès mon retour, j'ai été voir le directeur Aziz Djamel, auquel j'ai remis la demande sur laquelle était porté l'accord du PDG, mais pas le montant. Il a appelé le PDG et ce dernier lui a donné instruction pour me remettre la somme de 2,5 millions de dinars. Je n'avais pas compte à El Harrach. Mon compte personnel était à Rouiba. J'ai fait les formalités pour l'ouverture de ce dernier et une semaine plus tard, il était alimenté. J'ai retiré 1,3 million de dinars pour régler un prêt que j'avais contracté à la Cnep », explique-t-il. Lui aussi indique qu'il n'y avait aucune garantie, mais le seul fait nouveau est qu'il avait introduit une demande. « Vous n'avez jamais parlé de cette demande avant, ni vous ni Salim Larbi. Pourquoi n'avoir pas remboursé ce prêt, vous aviez un salaire de 100 000 DA de fin 2001 jusqu'à la fin de 2002 ? » demande la présidente. L'accusé déclare avoir eu l'occasion un jour de rencontrer le PDG pour lui parler de la procédure de remboursement de ce montant, mais ce dernier l'a rassuré en lui disant : « Vous travaillez pour la compagnie, vous n'allez pas prendre la fuite. » La magistrate veut savoir de l'accusé comment il a fait pour obtenir un prêt auprès de la Cnep. « Un dossier avec une hypothèque de la maison familiale », répond-il. La présidente : « Vous voyez que pour un prêt, il y a toujours une garantie en contrepartie. » L'accusé : « Lorsque le PDG m'avait interpellé, je n'avais pas du tout l'intention de demander un prêt. » Le procureur général lui demande pourquoi n'avoir pas demandé à la direction générale de Khalifa Airways ce prêt, qui était à l'époque dirigée par Sakina Tayebi et Nanouche. L'accusé déclare à chaque fois qu'il n'avait pas l'intention de faire cette demande. Le procureur rappelle à l'accusé que devant le juge il n'a jamais parlé de prêt, mais de dons. Ce que Dahmani conteste catégoriquement. Appelé comme témoin, Bar Aziz est le PDG de la société de production des boissons de Réghaïa. Il affirme avoir fait une consultation pour le placement des fonds de sa société du fait que les taux d'intérêts accordés par la Badr avaient chuté subitement. « Certaines banques ont répondu, d'autres non », dit-il. Il affirme que sa société avait « cent millions de dinars à la Cnep, 100 milliards de dinars à la BNA, et elle voulait placer 100 millions de dinars à El Khalifa Bank, qui avait proposé un taux d'intérêt de 10,5%. Nous avons ouvert un compte courant avec un montant de 10,679 millions de dinars ». La présidente : « Qui vous a contacté pour le placement ? » Le témoin : « Lorsque nous avons lancé la consultation, nous avons eu une réponse de l'agence d'El Harrach. Son directeur est venu me voir deux ou trois fois pour me faire des propositions et nous nous sommes entendu. Mais nous avons tout de suite retiré nos fonds, avec les intérêts à temps, lorsque nous avons commencé à lire sur les journaux les problèmes qu'ils avaient. »