En ces années de post-terrorisme, le théâtre à Oran est surtout l'affaire d'une nouvelle génération d'auteurs, de metteurs en scène et d'interprètes peu ou pas liés aux croyances esthético-politiques des aînés et de leurs écoles supposées ou réelles. Ce mouvement, bien qu'encore méconnu ou plutôt non reconnu, s'appuie sur des troupes indépendantes dont l'inventaire sommaire permet de découvrir les lames de fond qui commencent à concerner l'ensemble du 4e art dans notre pays. Ainsi, la troupe théâtrale Hamou Boutlélis a été reconstituée grâce à la pièce Metezouej Fi Otla, de Mourad Senouci et Samir Bouanani. Elle fait partout le plein dans les salles où elle passe, gagnant le public par un discours résolument moderne, en ce sens qu'il inscrit ses priorités esthétiques et de verbe en droite ligne des sujets d'actualités qui concernent le plus grand nombre et surtout les jeunes. Le succès de ses productions est si grand que les responsables de la troupe se tracent des perspectives d'exploitation du spectacle avant même son achèvement scénique. De son côté, la troupe El Amel a organisé dernièrement son festival du théâtre. Elle en organise un chaque année. Ses animateurs, Mihoubi et Belfadhel, croient qu'il est possible de maintenir la flamme théâtrale malgré toutes les tragédies traversées par le pays et toutes les chapes de sinistrose qu'on lui fait régulièrement subir. Les collectifs jeunes El Ajouad et Ibdaê revisitent de leur côté Homk Salim et Chaâb Fak, de Abdelkader Alloula avec le regard sans complexes des nouvelles générations, une oreille branchée sur le rap et l'œil ouvert sur la fabuleuse fenêtre d'Internet. Même fraîcheur, insolente par endroits avec Dari Ouahdi, une création de Ali Nacer, montée à Sidi Bel Abbès et jouée au Théâtre régional d'Oran, par une équipe réduite d'artistes associés, sous la houlette de Bouabdellah Saïd, transfuge du TRO. Les promoteurs de cette formule disent haut et fort qu'ils comptent bien fructifier la formule pour imposer une nouvelle façon de faire le théâtre « en indépendants » et résoudre un tant soi peu les contraintes liées au montage d'un produit théâtral, apte à se déplacer à l'intérieur du pays. La troupe Monastir s'est illustrée dernièrement par un monologue sur le thème de l'émigration clandestine qui a déjà les faveurs de la littérature algérienne avec Boualem Sansal et Hamid Skif. Elle a joué déjà plusieurs autres pièces pour les jeunes publics d'Oran et de sa grosse banlieue, afin d'élargir la base de tous ceux qui aiment les arts de la scène. Les fondateurs de la troupe le Théâtre de la cité montent pour la deuxième fois, en indépendants, Hamma le cordonnier de Azzedine Mihoubi, sur une réalisation de Mohamed Adar. Dans cet inventaire, nous n'oublierons pas de signaler la troupe Ibn Sina qui s'investit dans le théâtre pour enfants, avec des sujets plus en rapport avec les goûts actuels. Son noyau créatif estime qu'il est temps de s'intéresser davantage au jeune public et de préparer les spectateurs adultes de demain. Autre troupe, celle des Compagnons du théâtre et des arts qui monte à Oran son spectacle Sanaoud Yaoumen (Je reviendrai un jour), dans le cadre de la manifestation annuelle « Alger, capitale arabe de la culture », parce qu'ils estiment que l'expérience de leur précédente pièce, Aboud, est enrichissante à plus d'un titre et qu'il serait dommage de ne pas l'approfondir en adjoignant une nouvelle expérience qui peut être portée à l'actif des pistes de recherches qui s'ouvrent ces dernières années dans le théâtre algérien. Un phénomène intéressant mérite d'être souligné, celui de ces collectifs légers qui se sont lancés dans le théâtre comique filmé en vidéo, qui permet de dépasser la contrainte des salles et d'aller au devant d'un public qui regarde de plus en plus chez lui le cinéma, le théâtre, etc. Résolument irrévérencieux à l'endroit des canons esthétiques d'hier, ils tracent une nouvelle sensibilité. Le gisement est porteur et il intéresse nombre de comédiens confirmés qui n'avaient pas toujours la possibilité d'exercer leur talent. Beaucoup de gens du théâtre se sont d'ailleurs « spécialisés » dans ce type de productions à canevas minimaliste et à distribution réduite. C'est dire qu'il est possible de pratiquer un autre théâtre, un théâtre hors des institutions officielles, pourvu qu'il y ait la volonté d'éviter les faux clivages, les sentiers battus et les éternelles complaintes que tout le monde récite lorsqu'il s'agit de passer à l'acte, c'est-à-dire réaliser un produit. Les hypothétiques âges d'or Cependant, les institutions culturelles locales régionales commencent à saisir et capitaliser cet engouement. Ainsi, le Théâtre régional d'Oran ne s'est pas montré insensible à ce mouvement, bien au contraire. Après avoir terminé l'année 2006 avec un remplissage de salle plus que satisfaisant, s'appuyant en grande partie sur l'activité des troupes privées, il part à la conquête de la nouvelle année, avec un nouveau produit et surtout une distribution où les jeunes comédiens constitueront l'essentiel de l'ossature de ce nouveau projet. Quant au Centre culturel français d'Oran, son activité s'ouvre à l'art dramatique grâce à l'apport de jeunes Algériens, principalement des universitaires, entièrement acquis aux nouvelles techniques de communication et pas du tout gênés par le problème de la langue. Les responsables de la structure ne montrent aucune espèce de réticence à monter des spectacles nationaux et gardent ouvertes les portes de leur institution. A travers ce listing succinct et rapide, il apparaît que la programmation de ces œuvres de l'esprit n'est ni accidentelle ni isolée. Celle-ci a été rendue possible par l'abnégation d'artistes qui croient toujours que rien n'est perdu dans la maison Théâtre et que l'abdication est antinomique de l'art. Rien n'interdit alors de rêver que la relance est là, que la coupure n'a jamais eu lieu (malgré un manque de diffusion et de contacts réguliers réels entre les hommes et les femmes qui pratiquent cet art). Il convient donc d'actualiser notre vision de la situation du théâtre en fonction de ces nouveaux éléments en portant notre regard vers l'avant plutôt que vers la célébration répétitive d'un passé par ailleurs incontournable. Ressasser d'hypothétiques âges d'or et parfois des réputations surfaites peut devenir dommageable, surtout en généralisant à outrance. Ainsi, les éléments du théâtre le Point ou ceux de la troupe le Triangle, pour ne retenir que ces exemples, respectent l'héritage des anciens mais ne le suivent pas nécessairement. Ils considèrent que cet effort a valu pour une période mais ne peut l'être pour toutes. Ils ont déclaré plus d'une fois, et de façon explicite, qu'ils se placent plus dans la quête d'une expression artistique conforme à leurs besoins (ceux du moment) qu'à la redécouverte du faste d'antan. Comme les troupes théâtrales El Ajouad et Ibdaê qui le montrent bien, ils ne tournent pas le dos à leur proche passé mais ne se sentent pas obligés de regarder continuellement en arrière pour avancer dans leur recherche et approfondir leur perception du théâtre dans sa rencontre avec les autres arts. Leur production artistique n'est pas ou ne veut pas être un théâtre plaidoyer, mais un théâtre qui se fraie des trajectoires acquises à l'instant. Nul ne peut nier qu'ils ont produit, ces dernières années, des œuvres plus inscrites dans l'appétit de connaissance du monde qui les entoure que dans la reconstitution de référents qui peuvent plus barrer qu'ouvrir la route à l'innovation. Ces compagnies à initiative privée (il en existe désormais une bonne cinquantaine à l'échelle nationale) s'inscrivent dans la remise en cause et non pas dans la nostalgie. Dans leur majorité, et c'est aussi le cas des autres troupes du territoire national, les éléments de jeunes troupes oranaises expriment des désirs épousant la période qu'ils vivent, des désirs légitimes, des désirs ouverts sur la parabole et le monde, ce petit village où tout se sait. Ils font l'effort de se dépasser et ne rechignent pas devant la critique. La relève est là La production théâtrale est irrégulière, cela est reconnu. De même, les œuvres présentées aux publics ces derniers temps ne comblent pas les vides constatés. Dans leur globalité, elles ne sont pas des chefs-d'œuvre et n'avancent pas de recettes-miracles pour sortir le théâtre algérien de ses ornières et le faire accéder à la notoriété mondiale. Mais l'envie de se hisser à des niveaux de qualité raisonnables est partout présente, insistante même. Cette envie est présente dans l'originalité thématique, l'introduction de fragments culturels et éléments scénographiques « étrangers » et la liberté de se dire autrement pour ne pas « fondre sa voix dans la voix collective ». En quelques mots, les nouveaux collectifs, qui ont les moyens de leur politique mais n'ont pas ceux de l'Etat, tentent, dans leur remise en question, de se créer de nouvelles esthétiques, d'inventer d'autres manières de pratiquer leur théâtre, de rompre avec le rituel des commémorations, d'interpréter différemment les rapports avec la création artistique, de prendre appui sur des ressorts dramatiques qui signalent sans ambages les zones de partages mais aussi les nouveaux territoires de la contestation. Ils n'ont sans doute pas l'expérience « requise », mais de l'étoffe et du punch et un contact vivant avec le public. Il est certain aussi que le nombre de pièces montées sur l'année demeure modeste et qu'il est loin d'égaler le nombre des productions des années 1970 et 1980, pour ne prendre que ce repère que d'aucuns continuent à répercuter en écho agaçant ou un record imbattable. Il est vrai aussi que des figures-phares ou hommes-orchestres ne se dégagent pas de manière tranchée de ces nouvelles compagnies qui se dénomment coopératives, comme ce fut le cas dans les années post-indépendances ou les années Boumediène. Mais pourquoi tient-on, disent ces jeunes artistes, à comparer hier à aujourd'hui avec le regard d'hier ? Pourquoi se contenter de dire qu'hier était mieux et qu'aujourd'hui est moins bien ? Pourquoi ne pas réécrire l'histoire du théâtre, d'abord à partir d'aujourd'hui, avec ses faiblesses sans doute, mais aussi ses grands questionnements et surtout ses nouveaux paris ? Ce serait défoncer des portes ouvertes d'affirmer que les choses ont changé au théâtre comme partout ailleurs dans la société et le pays. Les œuvres proposées dans leurs multiples déclinaisons ont connu, par endroits, des percées significatives cette dernière décade et il serait hasardeux de ne pas en prendre acte et de continuer à interpréter la marche du théâtre algérien dans sa nouvelle mouvance avec des lectures de codes et des canons désuets. On peut être un acharné rêveur du théâtre, éveilleur de masse ou éducateur du plus grand nombre, mais on ne peut raisonnablement tenir ce même discours 20 ans, 30 ans de suite face à un art mouvant par excellence, car exprimé avant toute chose par des êtres vivant intimement le moment, des êtres qui, avant tout le monde, sont priés d'exprimer une multitude de préoccupations. Et ce n'est pas faire preuve de satisfaction béate face à cette nouvelle tendance dans la sphère théâtrale que d'affirmer que la relève est présente, une relève qui croit à ce qu'elle fait et qui nourrit chaque jour l'espoir de faire mieux. Son émergence, qui se confirme sans cesse, n'est pas foncièrement antinomique à l'œuvre des anciens, mais seulement différente. Il y a cependant encore beaucoup à faire pour que les beaux jours du 4e art soient là ! Et cela personne ne le conteste, à commencer par les membres de ces troupes.