C'est une décision très lourde, mais les risques encourus par notre personnel sont aujourd'hui supérieurs aux bénéfices réels apportés à la population. » Jérôme Larché, responsable de la mission Soudan, explique ainsi la suspension des activités de Médecins du monde au Darfour, annoncée lundi dernier. « Depuis plusieurs semaines, poursuit-il, la situation s'est détériorée et il est désormais impossible d'accéder aux populations en dehors des camps de déplacés. » Depuis son déclenchement en février 2003, le conflit au Darfour a fait quelque 200 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon les estimations de l'ONU, que contestent les autorités soudanaises. Agressions physiques, attaques des convois — les rebelles ont besoin de véhicules — vol de matériel… Médecins du monde n'est pas la seule ONG à se plaindre de la situation sécuritaire actuelle. Six autres associations — Action contre la faim, Care International, Oxfam International, Norwegian Refugee Council, World Vision et Save the Children — ont prévenu l'ONU et l'Union africaine que « les opérations au Darfour sont sur le point d'être arrêtées » compte tenu « de la violence jamais atteinte à laquelle doivent faire face les travailleurs humanitaires » et qui « a conduit à réduire au minimum les opérations d'aide aux populations ». A Action contre la faim, où une employée a été violée en décembre lors d'une attaque à Gereida (sud), la direction a choisi de diminuer ses effectifs. « Il y a aujourd'hui entre 15 et 20 expatriés au nord et au sud alors qu'ils étaient 35 il y a trois mois, précise-t-on au siège. On assure le minimum vital, du ‘‘life saving'' dans les camps, c'est-à-dire le traitement de la malnutrition sévère. Suite à la division des factions rebelles, la chaîne de commandement est brisée et nous n'avons plus aucun interlocuteur valable. » A l'Aide médicale internationale, une partie de l'équipe basée à Nyala (sud) s'est repliée sur Khartoum. « Au nord, deux centres de soins ont été maintenus mais les cliniques mobiles ont été suspendues depuis la mi-décembre, ajoute la responsable des programmes. Nous revenons régulièrement pour effectuer des évaluations de sécurité car il n'est pas question de laisser tomber les populations. » Pour cela, les ONG s'adaptent. « Le Darfour est une région grande comme la France, note Denis Lemasson, responsable du programme Soudan à Médecins sans frontières, et la situation est hétérogène selon les sites. Il y a des zones, comme à l'ouest, où il est encore possible de travailler. MSF s'apprête d'ailleurs à développer des actions de sécurité de grande ampleur dans ce secteur. » Le Comité d'aide médicale travaille également du côté de la frontière tchadienne. « Il est important que les ONG restent pour témoigner, commente-t-on à l'association. C'est à elles de trouver le moyen de continuer dans un contexte compliqué. » Le sommet de l'Union africaine qui s'est tenu à Addis-Abeba lundi 29 et mardi 30 janvier, n'a débouché sur aucune avancée. La communauté internationale tente de convaincre Omar Al Bechir d'accepter une mission de l'ONU ou au moins une force de paix hybride ONU-Union africaine, mais le président soudanais persiste à refuser le déploiement de Casques bleus. « La situation politique n'est pas de notre ressort, précise Jérôme Larché à Médecins du monde, mais les différents acteurs du conflit devront en tout cas répondre du non-respect des textes additionnels de la Convention de Genève, qui assurent le droit à la protection des populations et des travailleurs humanitaires dans une situation de conflit, et que la République du Soudan a signés. »