L'ONU, les organisations humanitaires et les défenseurs des droits de l'homme ne cachent pas leurs inquiétudes pour ce qui se passe au Darfour. Les cris d'alarme et les avertissements n'ont cessé de résonner ces derniers jours, qui mettent en garde contre la possibilité d'une catastrophe humanitaire dans la province soudanaise du Darfour où une guerre oppose depuis quinze mois des ethnies africaines à des milices armées par le gouvernement de Khartoum. Ainsi, vendredi dernier, deux hauts responsables des Nations unies ont dénoncé le «régime de terreur» au Darfour et la «possible catastrophe humanitaire» qui guette cette province. A l'issue d'une réunion à huit clos du Conseil de sécurité, le Haut commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, par intérim, Bertie Ramcharan, a en effet déclaré à la presse, à propos de la situation humanitaire au Darfour, que «ceci est en train de se dérouler sous vos yeux et personne ne pourra dire qu'il ne savait pas». Témoignage renforcé par celui de James Morris, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (Pam, agence spécialisée de l'ONU), selon lequel il y a «une réelle possibilité que nous fassions face au Darfour et au Tchad à une catastrophe humanitaire avec des implications majeures pour la paix et la sécurité dans la région et la perspective de dizaines de milliers de morts». En fait, la cause principale de la détérioration générale de la situation dans cette province occidentale du Soudan, -entrée en rébellion contre le gouvernement central il y a quinze mois environ-, sont les milices, les «Janjawid», recrutées et armées par Khartoum, qui sèment la terreur au Darfour, au point que cette situation a des répercussions dangereuses au Tchad voisin, qui accueille déjà des milliers de réfugiés venus y chercher la sécurité. De fait, le président tchadien, Idris Deby a lui aussi fini par hausser le ton demandant, vendredi, à Khartoum de «maîtriser cette milice qui agresse le Tchad», indiquant : «Il faut que le Soudan, un ami et frère du Tchad, prenne toutes les dispositions pour maîtriser cette milice qui agresse le Tchad». De fait, les «Janjawid» sont accusées de procéder à un «nettoyage ethnique» au Darfour. Ce qu'indique également, l'organisation américaine de défense des droits de l'Homme, «Human Rights Watch» (HRW) selon laquelle «la campagne de la terre brûlée du gouvernement sénégalais est devenue de plus en plus brutale au cours des trois derniers mois». HRW craint par ailleurs, que le cessez-le-feu (entre d'une part Khartoum et d'autre part le Mouvement de libération du Soudan -MLS- et le Mouvement pour la Justice et l'Egalité -MJE- oppositions armées du Darfour) «n'ait été accepté par le gouvernement soudanais que parce qu'il a, en grande partie, achevé le déplacement forcé des zones rurales des groupes ethniques visés». Le cessez-le-feu signé le 8 avril dernier pour une durée de 45 jours renouvelables, doit cependant être soumis à une surveillance internationale stricte avec parallèlement, un désarmement véritable des milices «Janjawid» lesquelles, selon des sources concordantes, sous-traitent pour le gouvernement soudanais. Ces milices ont eu la main lourde contre les ethnies africaines (Fur, Masaalit et Zaghawa) qui, dans le meilleur des cas, sont expulsées de leurs baraques, constituant la majorité des cohortes de réfugiés ayant trouvé asile au Tchad, ou dans le pire des cas, simplement massacrées sur place. Selon les chiffres des organisations précitées, les combats au Darfour ont fait depuis février 2003, plus de dix mille morts et près d'un million de déplacés, dont plus de 100.000 ont trouvé refuge au Tchad voisin. Le gouvernement soudanais, face à la levée de boucliers internationale, réfute ces accusations et apporte par la voix du ministre d'Etat aux affaires étrangères, Najib Al-Khaïr Abdel Wahab, un démenti formel, indiquant que «la situation dans le Darfour ne peut être qualifiée de nettoyage ethnique ou de génocide. Il s'agit d'un conflit entre les tribus pour les ressources» ajoutant : «Le problème du Darfour ne sera pas résolu par les dénonciations et les slogans, mais par une attitude éclairée et par une contribution positive permettant de trouver les solutions appropriées au conflit». Khartoum a beau minimiser la situation qui est celle du Darfour, il n'en reste pas moins qu'elle est explosive. Ce qui fait dire au directeur du PAM, James Morris, «C'est une crise humanitaire dramatique, sans doute l'une des pires dans le monde aujourd'hui» alors que Human Rights Watch n'hésite pas à estimer ce qui s'y passe, c'est, selon elle, «un nettoyage ethnique» et un «crime contre l'humanité» appelant vendredi l'ONU à condamner «les agissements de Khartoum». Le fait patent est que la situation au Darfour, quoiqu'en dise le gouvernement de Khartoum, est très sérieuse, et il semble urgent d'agir dans le sens de donner la protection adéquate aux populations de cette province déshéritée du Soudan. L'Union africaine, qui curieusement reste silencieuse sur cette affaire, a toutefois un rôle important à jouer, tant par la prise en charge directe de la surveillance du cessez-le-feu, entré en vigueur le 8 avril, que par l'aide que peut apporter le Conseil de Paix et de sécurité (CPS) auprès de l'Union africaine - aux parties belligérantes pour les assister à trouver une issue au conflit qui déchire le Darfour, conflit qui du reste peut, par l'implication de pays tiers, déteindre dangereusement sur toute la région du centre-nord-est de l'Afrique. Mais l'urgence aujourd'hui au Darfour c'est encore d'agir vite pour prévenir une nouvelle catastrophe en Afrique.