En musique comme en peinture, les grands maîtres s'appliquent parfois à reformuler le même thème sans pour autant l'épuiser totalement. Cela donne lieu quand même à une série de chefs-d'œuvre pour le plaisir de la vue et de l'oreille. De l'avis de certains spécialistes, J.-S. Bach, (1685-1750), dans ses « variations Goldberg », serait le premier à avoir donné, dans ce sens, l'exemple d'une manière méthodique qui devint depuis l'exemple à suivre aux yeux de tous les compositeurs. A en croire certains de ses biographes, c'est pour dissiper l'ennui d'un insomniaque que Bach a lancé, en 1741, une « aria » avec 30 variations. A sa suite, Beethoven devait, en 1822, donner 33 variations sur un thème d'Anton Diabelli. Les deux œuvres, on le sait, constituent le bréviaire de tous les pianistes. En peinture, Rembrandt (1606-1669) s'était appliqué, durant une quarantaine d'années, à faire son autoportrait. Pas moins de quatre-vingts tableaux le représentent dans la même posture, et avec, pratiquement, le même éclairage. Pourtant, les historiens de l'art déclarent encore ne pas reconnaître le vrai visage de Rembrandt dans toute cette panoplie d'autoportraits. Cézanne (1839-1906) a fait, à quelques différences près, le même travail artistique avec ses 44 huiles et 43 aquarelles représentant la même facette de la montagne Sainte Victoire. Dans la même veine, Claude Monet (1840-1926) a réalisé toute une série de tableaux mettant en relief la cathédrale de Rouen, sous différents éclairages, la ville de Venise, le siège du Parlement britannique et les falaises d'Etretat. S'est-il agi donc, pour tous ces créateurs, de faire montre d'une haute technicité pianistique et picturale tout simplement, ou de démontrer qu'il serait possible, par le biais du son ou de la couleur, d'atteindre des sommets d'expressivité se situant en dehors du clavier des mots ? On dit bien parfois que la musique est l'art de reconsidérer la notion de temps autrement que par le truchement des moyens classiques isochrones. On dit également que la peinture est l'art de « donner forme au vide ». Faut-il donc croire que les musiciens et les peintres ont, de ce fait, les coudées beaucoup plus franches que les écrivains ? En littérature, on se serait vite écrié : redondance, tautologie, voire pléonasme et redite ! C'est que la langue, de par sa nature expressive inégalable, et en tant que moyen d'expression par excellence, n'autorise que rarement ce type de répétitions, et il lui arrive même de bannir le palimpseste de ses rangs pour sa similitude avec les techniques de peindre. Les spécialistes dressent, cependant, quelques difficultés en déclarant qu'il faut « beaucoup d'oreille » pour écouter Bach, le modelé de ses phrases n'étant pas à la portée de tout le monde, et la répétition n'est jamais à l'identique aussi bien dans ses « variations Goldberg » que dans ses préludes et fugues. Certes oui, Bach ne se répète pas, car il a sa manière d'appréhender le temps dans sa propre musique, et c'est ce qui fait sa puissance créative. Rembrandt avait beau être son propre modèle, entre 1628 et 1669, ses autoportraits cacheraient, en vérité, autre chose derrière son visage. Il y a quelque temps, une étude scientifique très poussée a révélé que ce grand peintre souffrait d'une maladie oculaire qui le chagrinait énormément au point de ne pas faire confiance dans le choix des couleurs appropriées. Ce besoin de se répéter, en musique comme en peinture, ne serait donc pas un acte gratuit. C'est peut-être une façon assez étrange de vouloir atteindre l'impossible. Contentons-nous de relever, à la suite de certaines interprétations psychanalytiques, que la répétition n'est autre que « la recherche d'une jouissance première qui se répète ».