Une chose est sûre depuis quelques semaines, la Russie n'entend plus se contenter du second rôle ou encore de demeurer dans le repli qu'elle observe depuis la chute du communisme et de l'ancienne URSS. On a parfois tendance à parler dans cette fédération de montée du nationalisme, alors même que selon l'avis de spécialistes, la Russie entend être ce facteur d'équilibre dans les relations internationales. Plus de question taboue. Et pas question non plus de faire le dos rond. Il s'agit de rendre coup pour coup comme en ce qui concerne la nouvelle doctrine militaire américaine, ou encore de la décision de l'OTAN (organisation du Traité de l'Atlantique nord) de repousser ses frontières, au point de faire dire au président Poutine que son pays pourrait un jour adhérer au sein de l'Alliance. Mais Poutine, se rend-on compte, n'attend pas, il déclenche l'offensive repoussant depuis la fin des idéologies, toutes les limites que pouvait se fixer la diplomatie de son pays. Comme le voyage qu'il a entrepris hier dans une région du Moyen-Orient que l'on dit sous forte influence des Etats-Unis. Arabie Saoudite, Qatar et Jordanie en sont les principales étapes. Il y sera certainement question d'armes, de pétrole, de la question palestinienne ou encore de gaz. Il y sera question de « coordination » du marché gazier. Une expression suffisamment forte pour susciter, ou encore accentuer, les craintes des gros pays consommateurs comme les Etats-Unis. Il y rencontrera aussi le président de l'Autorité palestinienne lui, qui avait marqué sa différence en recevant une délégation du mouvement Hamas. Comme il ne s'agit nullement de hasard de calendrier, il s'agit indéniablement d'une offensive majeure de la Russie dont le point culminant est sans conteste le discours de Poutine à Munich en Allemagne. C'était un réquisitoire contre l'unilatéralisme dans les relations internationales, suscitant de vives réactions des Américains et même de l'OTAN. Mais à un tel niveau de responsabilité, une chose est sûre, il n'y aura pas de guerre, et le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a estimé hier qu' « une guerre froide avait largement suffi » en annonçant qu'il avait été invité cette semaine à se rendre à Moscou par le président Poutine et par son collègue russe Sergueï Ivanov, rencontré jeudi à Séville (Espagne). Mais, estime-t-on en fait depuis quelques mois, plus rien ne sera comme avant. Et c'est très certainement cette vision qui a amené le président russe à lancer son offensive depuis Munich. « Les Etats-Unis sortent de leurs frontières nationales dans tous les domaines, et cela est très dangereux, personne ne se sent plus en sécurité parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international », a déclaré le chef de l'Etat russe. « Un monde unipolaire ne signifie en pratique qu'une chose, un centre de pouvoir, un centre de force, un centre de décision agissant comme un maître unique, un souverain unique, qui s'effondrera de l'intérieur. Cela n'a rien de commun avec la démocratie », a-t-il dit en allusion aux Etats-Unis et en présence de plusieurs sénateurs américains, dont le Républicain John McCain. Ce monde unipolaire, qui après la fin de la guerre froide n'a jamais vraiment fonctionné, serait de toutes manières inopérant en raison de la montée en puissance économique de l'Inde, de la Chine, du Brésil et de la Russie, a estimé en substance M. Poutine. Il a, cependant, eu un bon mot pour George W. Bush. « Le président des Etats-Unis qui est mon ami est critiqué pour tout ce qu'il fait, mais c'est un homme honnête, et on peut faire des affaires avec lui », a-t-il dit. Ne négligeant aucun cadre, le président russe Vladimir Poutine a estimé sur la chaîne qatarie Al Jazira que l'intervention américaine avait fait plus de mal à l'Irak que Saddam Hussein. Rappelant que Saddam Hussein a été pendu le 30 décembre pour l'exécution de 148 villageois chiites, M. Poutine a souligné que « pendant les combats en Irak plus de 3000 Américains ont été tués et (que) les victimes civiles en Irak sont estimées à des centaines de milliers ». « Peut-on comparer l'un et l'autre ? », s'est-il interrogé. Il a une nouvelle fois appelé les Etats-Unis à établir un délai pour le retrait des troupes multinationales d'Irak et a critiqué la stratégie américaine. Le président George W. Bush a annoncé en janvier un renfort de 21 500 militaires américains en Irak, dont 17 500 soldats à Baghdad, s'ajoutant aux 132 000 militaires américains déjà présents dans le pays. Le nouveau plan américain comprend également « le déploiement de porte-avions dans la région, ce qui, selon les experts militaires, n'est pas nécessaire pour la résolution de la question irakienne », a affirmé le président russe. Le président américain, George W. Bush, a ordonné en janvier l'envoi d'un deuxième porte-avions avec son groupe naval dans le Golfe et annoncé le déploiement de missiles antimissiles Patriot dans la région pour y protéger les alliés arabes des Etats-Unis. « De plus, la marine américaine dans le Golfe est équipée d'armements qui ne sont pas utilisés en Irak. Cela suscite évidemment des inquiétudes », a ajouté M. Poutine. Interrogé sur les inquiétudes de Téhéran d'une éventuelle attaque américaine liée au dossier nucléaire controversé, M. Poutine a affirmé que plusieurs pays partageaient ces inquiétudes. « Est-ce le droit international qui garantit la sécurité ou des solutions unilatérales qui peuvent être imposées sans être basées sur des conventions internationales ? », a-t-il demandé, en allusion à l'invasion américaine de l'Irak en 2003. De nombreux pays partagent cette vision en prônant le multilatéralisme ou encore une démocratisation des relations internationales. Mais les questions sont toujours traitées au cas par cas, jamais de manière univoque, mais très souvent en fonction des seuls intérêts nationaux. Est-ce l'heure du changement ?